Les Ateliers Marcelle

Le temps « presse »

Ce 20 juin 2005, au lendemain de mes cent ans, mon engrenage à peine érodé par le temps a cessé définitivement de vibrer au rythme du travail.

Oh, ils n’ont rien à me reprocher, sans jamais défaillir, j’ai embouti durant mon existence des millions de pièces et particulièrement, ces pelles et bêches qui ont apporté à l’entreprise la réputation de ses belles années.
Mais le monde a changé et mon bon vieux bâti en fonte fait mine d’anachronisme face aux tendances technologiques de la compétitivité contemporaine.
Le grincement feutré de l’acier rougi auquel mes outils de presse donnaient la forme définitive, je ne l’entendrai plus…
Alors, avec la nostalgie de ce passé riche en activités, je me consolerai en évoquant ses souvenirs.


Jules Marcelle, fondateur des Ateliers (Photo collection familiale)

En 1904, Jules Marcelle, employé à PHENIX- TÔLES, s’occupe du cisaillage droit et rond de pièces pour le Moyen Orient et fort de son expérience, il crée son propre atelier à Gougnies.
Pendant la guerre de 14-18, la famille s’étant réfugiée en France, toutes les activités sont suspendues.
Celles-ci reprennent de plus belle après l’Armistice et, en 1923, après des études d’ingénieur technicien à l’UT, Maurice rejoint son père, Jules, au sein de l’entreprise et apporte à celle-ci toute sa technicité.


Extrait d’un ancien catalogue des Ateliers Marcelle

L’atelier prend de l’extension et en 1926 adopte le statut de « Société Anonyme ».
Maurice conçoit et fabrique une presse à plateaux permettant l’emboutissage de fonds bombés pour le Moyen Orient et en particulier le marché libanais.
Il achète un laminoir afin de pouvoir laminer des aciers de qualités diverses et s’étant équipé d’un outillage complet pour la fabrication de pelles, s’engage sur le marché africain avec un succès dépassant largement les objectifs.
La guerre 40-45 met un terme à cette belle époque.


L’emblème de la société au moment où le commerce avec le Congo était florissant, d’où l’étoile coloniale.

La SNCB, les charbonnages et l’horticulture engendrent cependant une reprise progressive et les pelles, bêches et houes entraînent dans leurs sillons de nouveaux produits tels les râteaux, binettes, plantoirs, louches etc….
En 1950, Jules, fils de Maurice et petit-fils de Jules 1er, décroche son diplôme d’ingénieur et accroche son wagon de technicien au train de l’entreprise.
Les Hollandais et les Danois commandent en grandes quantités des ébauches de pelles qu’ils parachèvent en leurs installations.
Le laminoir n’arrête pas, ce qui provoque de nombreux bris de cylindres atteignant, à chacun de ceux-ci, le moral des quelque 40 ouvriers occupés.
Mais, petit à petit, les problèmes se résolvent et certaines améliorations permettent de réduire pas mal d’avatars.

Mil neuf cents soixante, le ciel s’assombrit. Le Congo proclame son indépendance et les nouveaux dirigeants manifestent leur hostilité envers la Belgique. Le marché des pelles se ferme inexorablement à l’atelier et s’ouvre tout grand aux pays de l’Est.
Seul le marché intérieur persiste et l’activité s’adapte à celui-ci notamment par la fabrication de rondelles, brides, diverses ferrures sur plan et sur demande.
En 1980, le nombre de personnes employées se limite à 6 et l’entreprise louvoie entre les pièges de l’activité économique de l’époque.
La cessation pure et simple est alors évoquée.

Jean, fils de Jules, avec l’aide de son épouse, Michèle, ayant tous deux reçu une formation commerciale et administrative, proposent, en participant à la réoxygénation de la situation financière, de tenter de prolonger l’activité de l ‘entreprise familiale.
Pendant près de 25 ans, ils maintiennent, aux soins intensifs, leur outil en vie.
Mais à quoi bon s’acharner ?
La vétusté des installations, le poids de plus en plus considérable des charges, le coût de l’énergie, les marchés hors concurrence s’ajoutant à de sérieux problèmes de santé, c’est en toute sérénité que le 20 juin 2005, l’acte de dissolution de l’entreprise est signé chez le notaire.
Et moi, bonne et fidèle vieille presse à pelles, je reste le vestige d’un chapitre de l’histoire de Gougnies que beaucoup de familles n’oublieront pas.

C’est moi qui raconte…

Photos Michel Florence

Photos Jean-François Gaspar

Derrière les machines, il y a les hommes… Dans les années ’80 Louis Negrello, Bernard Dardenne, Pierre Barbiaux… (Trois dernières photos: collection famille Barbiaux)

Dans les années ’60, première, deuxième et troisième photos: Arthur Wiame. Quatrième, de g à d: Fernand Looze, Emile Rifflard et Lucien Rifflard.

Photos Collection Jean Marcelle
Le démontage (23/04/10) voir les archives

Texte rédigé par Jean Marcelle