Triste jeudi !
Voilà, c’est terminé ! Certains disent que quand la première décharge du dimanche a été tirée, la Pentecôte est « oute »… Quand on y réfléchit un peu, c’est vrai que les événements de ce fabuleux week-end se succèdent à une vitesse déroutante et que la caracole du mardi, point final du programme, semble chaque année narguer le bon temps que l’on savoure ensemble. Il est vrai qu’à Gougnies, les pauses sont rares et courtes, il en est ainsi depuis des générations et il n’y a pas de raison que cela change.
Le mercredi, les têtes sont lourdes, les mollets endoloris, le tube digestif en réanimation. Mais les esprits sont inondés de belles images et les anecdotes se racontent avec humour autour de la table de décrassage, dans l’ambiance particulière et très conviviale de la rentrée des costumes. C’est la meilleure thérapie jusqu’à nos jours testée contre le bourdon du lendemain. Et puis, il y a le jeudi, triste journée, reprise du boulot dans un esprit qui est tout sauf enthousiasme, retour au train-train quotidien avec parfois un cafard magistral, celui qui s’accompagne très souvent d’une humeur massacrante métamorphosant le jovial marcheur en ours d’après-Pentecôte. L’environnement, le coquin, se fait alors particulièrement taquin. Un avion dans le lointain, une bétonnière dans la rue, un camion de fuel en livraison, tout semble vouloir imiter le pas ordinaire et même les merles se marrent en jouant du fifre. Et oui, c’est parfois psychologiquement éprouvant d’être un vrai marcheur ! Autrefois, il n’y a pas si longtemps, il nous restait un flacon de baume à l’étal de nos traditions : la procession !
Deuxième dimanche !
Le deuxième dimanche suivant la Pentecôte, se déroulait la procession du Saint-Sacrement. Après la messe dominicale, les paroissiens accompagnaient l’ostensoir dans les rues du village et effectuaient ce que les marcheurs appelleront plus tard « le petit tour ». Empruntant les rues de Châtelet, de Namur, des Hayettes, de la Tourette et du Culot, le groupe rentrait ensuite solennellement dans l’église pour y réciter des prières. Cette procession, abondamment fleurie, se composait, outre des paroissiens, des enfants des écoles revêtus de costumes évoquant certains passages de la Bible et de jeunes filles symbolisant notre jeunesse sous les statues et bannières. Depuis de nombreuses générations, afin d’apporter à cette procession tout l’esprit du terroir à travers les traditions locales, la compagnie participait à cet événement. Les marcheurs précédaient la procession et, aux chapelles, ponctuaient la bénédiction d’une salve d’honneur.
Sabres et lanternes !
Oh bien sûr, les marcheurs n’étaient pas aussi nombreux qu’à la Pentecôte. Mais l’événement attisait tout de même les braises encore chaudes des festivités de la Sainte-Rolende. Pour raisons pratiques et financières bien légitimes, la sortie se faisait en « civil », veste foncée, chemise et pantalon blanc, bonnet de police ou képi pour les officiers. Point de cheval pour les majors, bien évidemment, mais leur prestation ne passait cependant pas inaperçue. En queue de procession, monsieur le curé portait l’ostensoir sous le dais. Celui-ci était escorté par les membres de la fabrique d’église munis d’une lanterne et par les quatre majors de la compagnie. Voilà bien une image qui doit rester dans l’album de nos souvenirs, elle nous rappelle qu’une vraie marche de l’Entre-Sambre-et-Meuse, c’est d’abord une procession.
Les deux premières photos. Dans les années 80. Sortie de la procession.
Abbé: José Massinger
Portant le dais: Pierre Nollevaux, Arthur Monnoyer, Pierre Crucifix et Charles de Fabribeckers.
Aux lanternes: Stéfan Lardinois, Alexandre Zicot.
Majors: Francis Constant, Benoit Moreau, Guy Vanwijnsberghe.
Troisième photo: Raoul Demanet, Philomène André, Jean-Marie Genincq, Mmes Baudoux, Gilles et Henriette Carly.
Photos coll. Jacques Monnoyer
Monsieur le curé paie un verre !
En fin de matinée, après la rentrée, la compagnie se rendait à l’Ermitage pour offrir à la chapelle de sainte Rolende la dernière décharge de la saison. Michel Caramin qui veille encore aujourd’hui au parfait entretien de l’environnement de la chapelle, assurait avec beaucoup de fierté les commandements de la salve. Et puis l’après-midi, après une collation bien méritée, les marcheurs étaient reçus chez quelques notables. Parmi ceux-ci, monsieur le curé tenait à accueillir la compagnie bien souvent alors réduite à un groupe d’anciens irréductibles.
Et c’était l’officier du culte qui avait alors l’honneur de la décharge. Après celle-ci et après avoir pris bien soin de mettre son vin de messe en sécurité, il offrait le verre de l’amitié.
Le tour des officiers !
Le samedi soir qui précédait le dimanche du Saint-Sacrement, avait lieu une coutume qui permettait aux « chefs » de festoyer un peu entre eux, de s’offrir une petite récréation en dehors de leurs reponsabilités, le « tour des officiers ». Au rythme de « la retraite », le corps d’office et les tambours manifestaient dans les rues leur intention de ne pas prendre la leur tout de suite. Oui, bien sûr, on peut dire que cela n’était pas particulièrement triste, mais bon, une petite sortie comme ça, sans impératif d’horaire, avec comme seul objectif celui de passer un bon moment, n’était-ce pas parfaitement légitime ?
A la fin de la soirée, souvent tard, on inversait les rôles. Les tambours devenaient officiers et ceux-ci tâchaient, sans trop massacrer les partitions officielles de faire vibrer les peaux. Certains parvenaient même à mettre le baudrier à l’envers ! Heureusement il y avait toujours dans le corps d’office l’un ou l’autre qui possédait de bonnes notions sur la manière de battre correctement les marches et le résultat ne s’avérait ainsi pas trop catastrophique. Enfin, sainte Rolende devait se boucher les oreilles malgré tout…
Et puis hélas, un jour ...
Malheureusement, en 1998, le père Joseph VENNIX, curé de Gerpinnes et de plusieurs paroisses de l’entité, invoquant la pénurie de prêtres et le manque général de motivation, annonce qu’il ne peut plus assurer la procession du Saint-Sacrement. Cette nouvelle affecte particulièrement le corps d’office de Gougnies soucieux de maintenir au sein du village les traditions établies par les anciens. Une lettre bien argumentée est envoyée au père Joseph mais la réponse à celle-ci condamne définitivement la procession. Elle sortira une dernière fois sans les autorités religieuses, mais constatant alors que l’événement perd dans ces conditions son âme et sa raison d’être, le corps d’office décidera l’année suivante de la rayer de son programme annuel mais pas de l’oublier. Qui sait ? Peut-être qu’un jour son contexte reprendra des couleurs. Elle pourra renaître ainsi pour le meilleur et pour le plus grand bonheur des traditionalistes locaux.
Années 1960. Léon Mathieu, Roger Malvaux, Justin Minet. Seconde photo: Fernand Looze en tambour-major. Troisième photo: rentrée de la procession, mise en place pour la décharge.
Photos coll. Jacques Monnoyer
Jean Marcelle