Les revues anciennes ont souvent un charme tout particulier. Le numéro du Patriote Illustré daté du 30 janvier 1949 est de celles-là. L’hebdomadaire qui était édité par le journal La Libre Belgique propose un article de trois pages sur l’extraction et l’exploitation du marbre en Belgique. Le reportage a été réalisé à Gougnies et, outre des explications claires sur les techniques mises en œuvre, de l’abattage au produit fini, il propose de nombreuses photos qui nous étaient inconnues.
Il n’était pas possible de reproduire sur le site la mise en page élaborée de la revue.
Pour plus de clarté, nous avons regroupé les différentes parties du texte et les photos qui les illustrent.
Mais, pour le plaisir des yeux nous vous proposons de découvrir d’abord la couverture ainsi que l’aspect général des trois pages.
Le Patriote Illustré du 30 janvier 1949 coûtait 3 francs. La couverture est un montage consacré à l’installation du président Truman à Washington. Sur les 32 pages que comporte ce numéro, trois concernent l’extraction du marbre à Gougnies.
L’extraction et l’exploitation du marbre en Belgique
L’exploitation des produits naturels du sol porte le nom général de « mines », mais on a réservé le nom particulier de « carrières » à la mise en valeur des gisements qui fournissent plus spécialement les matériaux divers entrant dans la construction, dont les marbres. Suivant l’espèce de marbre à extraire, les carrières sont tantôt exploitées à ciel ouvert, tantôt par galeries souterraines. Les photos qui ornent ces pages ont été prises aux carrières de Gougnies, commune de la province de Hainaut, à 11 km. de Charleroi, où se trouvent d’importants gisements de marbre Sainte-Anne, cette variété belge de marbre connue sous ce nom dans le monde entier.
On sait que l’exploitation d’une carrière ne se borne pas uniquement à entreprendre une simple inspection d’un point déterminé du gisement; on procède également à des opérations de sondage, ceci enfin de s’entourer de toutes les garanties nécessaires. Si ce travail de recherche donne de bons résultats, on s’occupe alors au déblayage et au transport des terres recouvrant la partie supérieure du gisement. Après ces travaux préliminaires, a lieu l’extraction proprement dite.
Pour l’extraction de la partie supérieure des gisements de marbre, il n’est pas besoin de prendre de grandes précautions car, en raison de leur qualité inférieure, les produits extraits à la périphérie du gisement ne conviennent pas pour être transformés en travaux d’art. Tout au plus serviront-ils aux travaux d’enrochement. Au fur et à mesure que l’on descend en profondeur, le marbre va prendre de la consistance et la roche va pouvoir livrer des blocs compacts et de dimensions importantes.
Le procédé employé pour l’extraction des marbres est l’abatage. Dans un gisement de marbre, l’emploi des matières explosives est absolument prohibé et, pour pénétrer dans la roche, on utilise la perforatrice mue au moyen d’un moteur. Cet engin va découper des cylindres de marbre dans la masse de la roche.
Les perforations peuvent aller jusqu’à 8 m à 12 mètres de profondeur. Lorsque la partie cylindrique ainsi découpée est sortie de sa cavité on obtient un puits ayant la profondeur de la perforation et environ 0m80 à 1m00de diamètre.
Une fois ces puits complètement forés, on y descend les colonnes de sciage, les poulies et autres appareils serviront de guides à la descente du fil hélicoïdal qui va découper, de chaque côté de la masse de marbre, un profond fossé qui, vidé lui-même du marbre qui s’y trouve, va servir de départ à la découpe d’épaisseurs de marbre tranchées dans le massif ainsi dégagé. Ce travail de découpe d’épaisseurs appelées « masses », se fait également au moyen du fil hélicoïdal. A cet égard il est bon de faire remarquer que l’exploitation actuelle des carrières de marbre a été rendue économique et expéditive grâce au fil hélicoïdal, lequel fut imaginé par l’ingénieur belge Paulin Gay.
Le travail d’abatage consiste à renverser sur un lit de moellons les masses ainsi détachées du massif. En tombant, la masse se réduira en divers fragments suivant les défauts naturels de moindre résistance qui se trouvent à l’intérieur du marbre. Ces fragments sont alors remontés à la surface au moyen d’un truck, roulant sur un plan incliné, et, arrivés à la surface ils y sont débités en blocs, toujours au moyen des colonnes de débitage et du fil hélicoïdal. L’équarrissage au fil hélicoïdal ne porte généralement que sur les quatre faces les plus longues, de sorte que les bouts restent à équarrir. Ce dernier travail est fait par les ouvriers nommés « les épinceurs ». Pour mener leur travail à bien ils disposent de marteaux perforateurs, actionnés à l’air comprimé et de divers outils en acier dur spécial trempé.
Première photo: vue plongeante d’un chantier d’extraction de marbre belge, dans une carrière de Gougnies, commune de la province de Hainaut, à 11 km. de Charleroi. Les cercles indiquent l’emplacement de deux puits de perforation pour l’extraction de blocs de marbre.
Seconde photo: autre vue du chantier du fond. Des masses de roches, des moellons et des
outils voisinent ici dans un apparent désordre.
Le marbre se présente ensuite sous la forme de blocs, ces deniers doivent être divisés en parties de grandeurs et de formes variées. C’est le sciage en tranches ou en dalles appropriées aux divers besoins de l’artisan marbrier.
Le sciage des blocs se fait dans un appareil dénommé « armure à scier ». Cet appareil consiste essentiellement en un cadre rectangulaire horizontal ou châssis, composé de deux longerons et de deux têtes. Ce châssis dont la longueur varie de 2m50 à 5m00 sert à tenir les lames en nombre variable, tendues autant qu’il est possible de le faire d’une tête à l’autre au moyen de coins ou clés chassées à coups de marteau. Ces lames n’ont pas de dents et le champ est lisse. L’introduction des lames dans le marbre produit le trait de sciage et l’écartement entre deux lames constitue l’épaisseur de la plaque de marbre à obtenir. Le châssis est guidé dans ses mouvements par quatre montants verticaux stables. Il est généralement suspendu à quatre bielles de suspension dont l’extrémité supérieure est guidée verticalement dans les montants et dont l’extrémité inférieure est attachée par des pivots aux longerons du châssis.
L’extrémité supérieure des quatre bielles de suspension est fixée à quatre vis qui supportent tout le châssis. Il en résulte que le châssis peut être animé d’un mouvement de va-et-vient dans le sens de la direction des lames et d’un mouvement de descente, commandé par les vis qui sont dans les quatre montants.
Première photo: autre vue du chantier du fond, montrant d’imposants blocs de marbre abattus et attendant d’être tractés vers le chantier du haut pour y subir les différents stades du travail de mise en valeur.
Seconde: l’ouvrier, dont la taille paraît lilliputienne dans cette caverne de géants à ciel ouvert, enfonce des coins en acier dans une masse qu’il va ainsi découper. La séparation, qui cassera ce bloc en plusieurs parties, suivra le défaut naturel marbre.
Troisième: une masse est chargée sur un truck et engagée sur la rampe qui l’amènera au chantier du haut.
Première photo: le masticage des pièces à polir. Cette opération précède le polissage proprement dit.
Seconde: blocs de marbre brut, attendant d’être travaillés et polis dans une dépendance du chantier. Avec un peu d’imagination on croirait se trouver dans les rues d’une cité de la Grèce antique, dont les ruines ont resurgi du sol.
Une bielle, commandée par une manivelle et un volant, produit le mouvement de va-et-vient du châssis. Un distributeur de sable et d’eau est installé au-dessus du châssis.
Lorsqu’on veut scier le bloc, on remonte le châssis, on place le bloc en dessous en le calant bien. On met le châssis en mouvement et on fait couler le mélange de sable et d’eau. En même temps, on fait descendre le châssis jusqu’à ce que les lames viennent en contact avec le marbre. Le sable, entraîné par l’eau, s’introduit sous les lames et use la matière où s’exerce la pression car, ce ne sont pas les lames qui scient, mais seulement le sable qui use le marbre.
Après le découpage du marbre en tranches, on procède au polissage de ces tranches. Lorsque les pièces à polir ont été soigneusement mastiquées, si la texture du marbre le demande, elles sont soumises à l’action des polissoirs. Les premiers polissoirs ont été copiés sur les modèles employés dans le travail des glaceries. Ils se composent d’un plateau recevant son mouvement circulaire d’un arbre portant une manivelle, cette manivelle donne au plateau un autre mouvement de spirale. Pour utiliser cette machine, les pièces à polir sont scellées sur un grand plateau. On emploie aussi aujourd’hui les polissoirs à genouillères, pour lesquels les pièces ne sont pas scellées. Le polissage de parachèvement des petites pièces est fait à la main, en général par la main-d’œuvre féminine.
L’opération suivante est le débitage, ou division, en plaques de dimensions et de formes appropriées, des tranches fournies par le châssis de sciage. Pour cela, on a imaginé la débiteuse au « carborundum », ce produit industriel qui n’est autre que du carbure de silicium. Les scies employées sont des plaques de tôle, recouvertes de chaque côté, d’une couche de carborundum. La table sur laquelle se trouve la tranche de marbre à débiter, est déplacée soit à la main, soit automatiquement sous la scie. Cette machine permet la production d’un découpage rapide et soigné. Pour donner un léger arrondi aux angles de certaines pièces, ou pour arrondir l’arête de pièces devant former plinthe, il est fait usage d’un lapidaire. Passé ce dernier stade, les pièces de marbre finies s’en iront vers l’industrie du bâtiment, qui en fera des revêtements d’escalier, des soubassements, des cheminées, etc.; à moins qu’elle ne servent à ornementer l’ameublement intérieur des maisons
Première photo: forage d’un bloc de marbre au moyen d’une foreuse pneumatique.
Seconde: la grue mécanique est souvent nécessaire pour manipuler les blocs de marbre, le poids de ceux-ci représentant toujours des milliers de kilos.
Première photo: le polissage à L’aide de grenouillères, ici les pièces ne sont pas scellées.
Seconde: le polissage de parachèvement. Pour ce genre de travail, on requiert en général de la main d’œuvre féminine.
Troisième: un joli bloc de marbre royal belge, prêt à garnir l’intérieur d’une maison.
Documents coll. Chistian Hébrant
Autres dossiers ou photos concernant les carrières de Gougnies:
Les Puissant: fer et marbre
Les carrières en activité
L’ascension de la « Motte »
Le vieux Gougnies