Pas à pas en suivant la Caracole


Sans nier que ce fut sans doute le cas des années durant depuis la reprise après-guerre, la caracole n’est pas la bouffonnerie consistant à « enterrer » le plus ivre de la bande.
Ce rituel mérite qu’on s’y arrête et qu’on tente de retrouver la richesse de ses racines profondes. Sans posséder la capacité d’analyse d’un sociologue ni l’érudition d’un folkloriste, voici cependant quelques pistes de réflexion pour tenter de comprendre ce qui constitue une des caractéristiques de notre Marche.

D’abord, remontons dans le temps avant le début de la caracole elle-même. En début de soirée, à un certain moment délicat à déterminer et pouvant faire l’objet de controverses, les marcheurs se métamorphosent. Aujourd’hui, les tenues burlesques ont la cote, mais les plus anciens se souviendront qu’il y a 15 ou 20 ans, la transformation consistait surtout à « se mettre à l’envers » : retourner la casaque et porter le colback avec le plumet à l’arrière, passer la bavette du tablier de sapeur sous la casaque etc., pratiques à rapprocher de la marche que nous adoptons en remontant de l’église où, par moment nous progressons « arrière-arrière ».
Cette pratique n’est pas isolée : voyez la célèbre procession d’Echternach au Grand-Duché. S’agit-il de retarder l’inéluctable fin ?
Au Moyen-Age existait le « jour des fous ». Alors que le clergé était tout puissant, il acceptait ce jour-là que le curé rentre dans l’église, juché sur un âne et le dos opposé au choeur.

Tourner en dérision, un bref moment, ce qu’on a fait avec tant de sérieux le reste du temps. Notre caracole n’a-t-elle pas ce rôle d’exutoire ? On y remarquera aussi le rôle extrêmement subtil qu’y jouent les membres du Corps d’Office : écarter celui qui n’est plus maître de son arme mais offrir une goulée à celui qui manquerait d’énergie ou d’enthousiasme, tout ceci sous l’œil des majors auxquels il revient de désigner la « victime ». Or, précisément, de victime il n’y en a plus. Depuis des années, on n’enterre que celui qui le veut bien et qui est assez lucide pour donner un accord valable et permettre ainsi à la tradition de se perpétuer.
Mais revenons-en aux prémisses de la caracole : la compagnie a remonté très lentement et péniblement la place. Les haltes se font tous les dix ou vingt pas, on s’accroupit, on fait marche « arrière-arrière » , on fait tout pour retarder la fin… les coups de feu partent de partout, nimbant la place d’un nuage bleu et zébrant un ciel qui commence à s’obscurcir.
Puis se forme cette caracole, cette file indienne qui se resserrera sur elle-même pour épouser le dessin d’une coquille d’escargot, au rythme toujours plus soutenu de la batterie.
Ici encore il y a un symbole à retrouver. Le tracé de la caracole peut être comparé au labyrinthe qu’on retrouve sur le pavement de certaines églises, particulièrement celles qui se situaient sur l’itinéraire de pèlerinages. Le pèlerin suivait le parcours jusqu’à parvenir au centre du labyrinthe d’où il pouvait s’élever vers sa spiritualité.

Dans notre caracole, notre labyrinthe à nous, on enserre la « victime » qui complaisamment va se laisser tomber, comme morte.
Cette fin figure celle de la Pentecôte et, lors du tour d’honneur avec la dépouille, il serait de bon ton de marquer son chagrin. Il semble qu’entre les deux guerres marcheurs et spectateurs faisaient mine de pleurer sur la fête défunte, ce moment de fraternité, d’égalité et de convivialité hors du commun.
La suite est l’apothéose : le cadavre est exposé sur un pavois, livré à quelques « manipulations funéraires » qui n’ont plus rien à voir avec des excès du passé et bientôt fifres et tambours se mettent en sourdine, le ton baisse de plus en plus jusqu’à devenir inaudible. La Pentecôte est bien morte.

Quelques "morts" parmis tant d'autres ! 

Et soudain le miracle se produit : le mort est relevé et ressuscité. Le tambour-major lui donne sa canne pour relancer la batterie et, ce faisant, entamer déjà la Pentecôte de l’année suivante.
Cette symbolique du mort ramené à la vie par ceux qui l’entourent, marquant ainsi une promesse d’avenir, remonte loin dans le temps. Elle est très proche des rites païens des feux de la Saint-Jean qui, au cœur de l’hiver, appellent déjà le printemps.
De même, « enterrer » un marcheur, loin de se moquer de lui, revient à le charger d’assurer la pérennité de notre tradition.

Nous sommes bien loin d’une grossière gaudriole.