Robert Bauffe, poète wallon

Rencontrer Robert Bauffe, c’est faire un voyage dans la poésie wallonne et être au contact d’une écriture d’inspiration résolument locale, profondément « humaniste ». Gougnies.be l’a rencontré, avec bonheur, pour vous.

Peut-être que rien ne prédisposait Robert Bauffe à figurer un jour sur un site consacré au village de Gougnies. Né à « Tchèss’lèt », en 1931, il a toute sa vie travaillé dans l’usine métallurgique « Sambre-et-Moselle » et s’est rapidement consacré à la poésie, avec volonté et générosité, épaulé par ses amis de Châtelet : Hubert Haas, Alfred Launois et Émile Lempereur.

Mais voilà : lors d’une de ses premières ribotes à Gougnies, au bal de la Pentecôte, est arrivé ce qui devait arriver ! C’est par les charmes d’une gougnacienne que sa passion pour Gougnies s’est subitement imposée à lui. Passion fulgurante ! Il décide alors de rester à Gougnies et y vivra plus de quarante ans, de 1955 à 1999.

Durant ces quatre décennies, Robert est un des membres actifs de notre village. Par exemple, il contribue au développement du cercle « walon d’van tout » pour lequel il compose un poème intitulé « L’cèrke Walon d’vant tout d’Gougnéye », sur une musique de Georges Legrand. Enfin, il n’hésite pas à partager ses talents à l’occasion de certains moments marquants dans la vie des gougnaciens : il écrit un magnifique poème pour le cinquantième anniversaire de mariage de Gabrielle Gillain et François Cabut : « Boune Vôye, Gaby, Françwès ». Enfin, il adhère au groupement « Troisième âge » de Gougnies et illustre de ses poèmes le calendrier du « Club du 3ème âge » pour l’année 1994. C’est un véritable « parcours poétique » à travers les rues de Gougnies : chaque rue a son poème. Ainsi, de la « Place dèl comune à Gougnies », il écrit :

Di c’timps-là, l’ducasse si fyent pad’vant lès scoles.
C’èsteut d’djà fiesse a s’coubate autou dès baraques divant d’intrér à l’sicole. On
Avaleut rad’mint s’din-nér pour si r’truvér tèrtous su l’place.

A Gougnies ou ailleurs, sa vie entière est donc parsemée de poèmes, plus de trois cents au total, dont deux seulement sont écrits en français : « Qu’elle est belle ma vallée » et « Mère ». Son inspiration est aujourd’hui loin de s’épuiser : il publie chaque mois dans èl bourdon, la revue éditée par l’Association littéraire wallonne de Charleroi, qu’il fréquente très régulièrement. Il participe activement à la vie du Centre Communautaire de Bouffioulx, où il vit actuellement et pour lequel il publie certains articles dans un trimestriel « Au fil du temps », en particulier sous la rubrique « Le petit Wallon ».

Quant à ses œuvres, on lui doit deux recueils de poèmes, publiés par l’Association littéraire wallonne de Charleroi. Ces recueils proposent une écriture d’inspiration résolument locale et profondément attachée à la terre qui l’a vu naître. Le premier, sous le titre « S’on vôreut pourtant » (« Si on voulait se donner la main »), a été illustré par un autre gougnacien, Henri Caussin. Le deuxième recueil date de 2002 et s’intitule : « Mi Nwar Payis ». A lui seul, ce titre exprime une des sources les plus profondes de sa poésie : le passé d’un ouvrier qui se ressent comme « un enfant du pays noir » né à quelques mètres à peine d’un charbonnage, dans un coron. Et lorsqu’il a gagné le Prix Pêcher, un de ses copain lui a donné, pour le féliciter, ce qui est maintenant un des objets les plus précieux de la salle de séjour de Robert : son propre casque de mineur. C’est donc aux sources d’une sorte de « conscyince d’ouvrî » (« conscience ouvrière ») que sa poésie puise. Elle trouve son origine avant tout dans le langage de ceux qui, tous les jours, côtoyaient la mort : les mineurs. Voilà peut-être pourquoi Robert aime le wallon, cette langue qui lui donne l’occasion de dire quelque chose que le français ne parvient peut-être pas à dire et qui, en fait, est devenue sa véritable langue.

Reste une énigme, peut-être la plus grande : quand le poème devient une prière. Par-delà toutes confessions, il arrive au poète d’écrire une prière. Pourquoi ? N’attendez pas de réponse de la part de Robert. Ou alors peut-être celle que son ami, le poète Robert Arcq, a exprimée sous le titre d’un poème : « Priyêre pou l’cén qui n’cwet a rén »… Mais lorsqu’on demande à Robert de qualifier lui-même sa poésie, il n’hésite pas à dire qu’il a toujours voulu écrire une « poésie humaine ». « Humaine », parce que ses écrits se veulent avant tout ceux d’un « humaniste à tous poils ». En son principe, la poésie est un appel au bonheur, à l’amour, à la raison et aussi à la « patience » non seulement envers soi, mais aussi et surtout envers les autres. Elle aide à « être en symbiose » les uns avec les autres, bref elle vise « à s’doné l’mwin ». Mais si la vie la plus quotidienne et les événements de la localité sont bien l’occasion d’un poème, le poète se veut aussi le témoin vigilant de certains grands événements politiques, comme par exemple la mort de Franco, la libération de Nelson Mendela ou encore l’analphabétisme des enfants du Chili. C’est aussi cette sensibilité en face du manque de justice sociale, où qu’il se trouve, que sa poésie exprime. C’est dire que le poète ne fait rien voir, mais qu’il est celui qui existe dans ce qui ne pourra jamais être vu. Il exprime une sensibilité en écrivant une poésie qui se développe au fil d’une confrontation avec l’impossible, celle d’articuler un « appel » – et parfois un « cri » – capable d’altérer le cours du malheur :

« Come il èst lon li tch’min qui mwin.ne au vré bouneûr !
Qu’i fét deûr tayî s’vôye t-au lond dè l’vikérîye
Quand gn-a pupont d’amoûr à mète au fond dès cœûrs
Dins in monde disclimbwage, aus imâdjes mwins’ djolîyes !

Quand l’rascrôme tché sur nous èt qu’on n’ sét s’mète au r’qwè
Est-ç’ qu’i n’s’reut nén bén timps di scurér no concyînce ?
Tchèssant lès man.nèstés pou marchaudér dè l’jwè
Nos sum’rîs à tous vints d’l’moûr èt dè l’pacyince. »

Merci à toi, Robert, le poète wallon.

Robert Bauffe au toujours voulu écrire une "poésie humaine". Photo N. Monseu

Ce 26 décembre 2006, Robert, le gentil poète, s’en est allé rimer dans les étoiles…

Texte rédigé par Nicolas Monseu