Les grandes vacances de notre enfance évoquent de nombreuses activités qui s’inscrivaient pour la plupart dans le cadre de notre campagne. Celle-ci procurait à notre imagination le décor idéal pour nos jeux de gamins et l’écrin de verdure de notre village offrait à nos yeux de captivants territoires à explorer. Les mottes des carrières étaient sommets dont nous étions les uniques vainqueurs, la prairie du Bos-le-Comte était le théâtre de descentes vertigineuses de cartons sur gazon et l’entrée du bois nous avait préservé les vestiges d’une carrière de schiste qui jouait pour nous le rôle d’un cratère d’obus à l’explosion duquel notre petite armée avait pu échapper.
Nous empruntions régulièrement les courtils pour mener à bien nos safaris en culottes courtes et, il faut bien l’avouer, nos quelques escapades teintées de maraude, l’objet de nos petits larcins étant bien appétissant sur les branches des vergers…
Et puis notre rivière, cette merveilleuse et discrète Biesme que l’on pourrait appeler aujourd’hui la « Loire de notre enfance », tant elle nous a livré de trésors !
Déjà à son approche, on entendait le murmure de son eau cristalline et on se délectait des bons moments que nous allions passer sur le territoire de ses méandres. La première pâture franchie, on longeait enfin son cours et l’on pouvait ressentir toute la fraîcheur qu’elle offrait sans compter à la flore de ses berges. Toute cette végétation exhalait des parfums sauvages de menthe et nos mollets à l’époque ne se souciaient guère des avertissements urticants que nous adressaient les orties, incontestables maîtresses des lieux.
Après avoir évité le piège vaseux d’une profonde ornière dissimulée par quelque plante aquatique, on atteignait le but de notre expédition : le « gouffre ».
Ce méandre dans la pâture de Justin, par sa courbe et sa profondeur, ralentissait le cours des eaux. La berge constamment entretenue par l’appétit insatiable des locataires bovidés de l’endroit nous permettait d’accéder au lit de la rivière moyennant quelques boueuses glissades.
Ah bien sûr, la piscine n’était pas chauffée, la vallée était ombragée et le premier défi était de se mouiller le nombril sans ameuter les sauveteurs de la protection civile. Et le gouffre devenait rapidement le théâtre de nos plus belles aventures de gamins. Tantôt il devenait olympique, tantôt il prenait la forme d’un océan défendu par de valeureux marins, corsaires qui éprouvaient cependant quelques difficultés à trouver sur le fond la pierre plus ou moins plate, refuge pour petits pieds endoloris par le schiste du terroir.
Parfois, le niveau de l’eau n’étant pas suffisant à notre goût, nous improvisions un barrage de cailloux à la sortie du méandre. Bien sûr, cette opération avait pour effet de calmer le débit du cours d’eau mais pas celui du sermon du garde-champêtre relatif aux soucis que notre oeuvre d’art provoquait aux truites fario et aux pêcheurs dont il faisait partie…
Nous, à ce sujet, nous avions aussi développé notre chasse à la baleine, au harpon sous forme de fourchette de cuisine, la pêche au chabot. Cette méthode, sans aucun doute, n’aurait pas enthousiasmé les adeptes de Greenpeace mais, âmes sensibles, rassurez-vous, nos prises étaient rares ! Ceci dit, frit au beurre, c’est bon, le chabot…
Et puis l’appel du goûter réveillait en nous le souvenir des tartines à la cassonade, on rassemblait la troupe et, heureux de ces quelques heures dans notre monde d’enfants, on reprenait l’ascension du Maka.
A peine sortis de la fraîcheur de la vallée, on se réchauffait au soleil d’été. Nos petits orteils se souvenaient des cailloux de la rivière, nos mollets de la caresse des orties et parfois de la visite impromptue d’un taon; nos vêtements exhalaient un parfum caractéristique, mariage subtil d’arômes de poisson et de bouse de vache.
Un bon bain, un repas bien de chez nous et, sans blague, télé pas nécessaire pour faire dodo….
Jean Marcelle
La "Turbine", tour à tour piscine olympique, océan infesté de pirates ou zone de pêche....
Photo de gauche: Marcel Viroux, Pierre et Jean Marcelle. Ph. de droite: Jean et Pierre Marcelle, Jean-Louis Fagnart et Francis Sodini.
Photos coll. famille Marcelle, restaurées par Arnaud Tombelle
Une autre "partie de campagne à la Turbine". Photo de gauche: Freddy Grégoire. Ensuite: de g à d: Cathy et Christine Grégoire, Claire Decruyper, X, Nadine Jacobs, Jacques Grégoire, Georgette Jacobs, Béatrice Grégoire et M. Jacobs. Photo de droite: Joëlle et Thierry Poulin. (merci Emma)
Enfin, on n'allait pas à la "Turbine" que pour jouer. Voici, aux environs de 1940, Freddy Grégoire (à droite) et sa soeur Nancy au retour d'une "corvée fagots" avec Florentine Ninnin.
Photos collection famille Gregoire