S’il devait bénéficier d’une seconde vie, Alain Grégoire marcherait comme… tambour. Belle « profession de foi » pour quelqu’un qui a tenu ses premières baguettes à 2 ans et demi et en a 45 aujourd’hui!
« A l’époque on manquait de tambours…admet-il mais aujourd’hui, gare ! En cas d’incartade on vous fait vite savoir que d’autres attendent votre place… »
Alain « canada » n’aime peut-être pas trop qu’on l’affuble du sobriquet qui remonte à son grand-père chez qui on allait acheter des pommes de terre, mais il se souvient que c’est « el Blanc », José Paquier, qui lui a cédé la place de 1er tambour vers 1975, l’ayant lui-même reçue de José Laffineur, fils de Roger l’auteur de la marche « Gougnies ».
Il en a fait des marches ! Il fut une époque où, presque tous les week-end de la saison, il enfilait une de ses quinze tuniques, se coiffait d’un de ses six képis et saisissait un de ses neuf tambours pour rejoindre l’une ou l’autre compagnie. Il fallait de la santé… comme il en fallait pour, en plus, construire soi-même sa maison !
« Mais maintenant, j’ai très fort restreint admet-il. Quand on prend son tambour comme on prendrait ses miches pour aller travailler, il est temps de se poser des questions… »
Pour la même raison, il a cessé de donner des leçons. « C’est pas tout de leur apprendre… il faut aussi leur trouver une place dans une batterie et parfois leur servir de nounou… »
A soi seul, on peut semer la pagaille dans toute la compagnie
Son avis sur la qualité des tambourîs d’aujourd’hui ?
« Globalement bien meilleure que quand j’étais enfant. Mais attention : il y a des batteries où l’on caresse encore les peaux. Chez nous il faut flahî ! C’est au premier tambour de le faire savoir aux nouveaux…et de le faire respecter. »
Un premier tambour c’est quoi ? « Du stress…quand on se rend compte qu’à soi seul on peut semer la pagaille dans la compagnie entière…C’est aussi former la batterie avec l’accord du tambour-major et puis faire régner un minimum de discipline et de respect des horaires dans ce groupe où l’on n’est naturellement pas trop enclin à se soumettre. C’est aussi, tout au long de la journée, maintenir la cadence et, aux moments de fatigue, de fléchissement, l’imposer avec l’aide du 2e tambour. C’est enfin le premier tambour qui choisit l’enchaînement des marches, mais en consultant les fifres pour savoir s’ils sont en forme pour un « solo » … et tout en répondant aux demandes que le tambour-major indique par la position de sa canne. »
Alain ne s’éloigne d’une batterie que lorsqu’il prend part au Tour Sainte Rolende des marcheurs, en fin de saison : il endosse alors l’uniforme des tromblons. Sinon, c’est un « accro » des vibrations des tambours. Marcher, c’est surtout affaire d’émotions. Chaque lundi de Pentecôte, après la halte à l’église, il a les larmes aux yeux, quand il emporte la châsse qui reprend son périple vers Fromiée.
Emotion aussi quand il a battu du tambour, en mars 1994, aux funérailles d’Emile Derenne, tambour à Villers-Poterie.
« J’avais souvent tambouré avec lui… comme j’aurais voulu le faire davantage avec mon père, mort quand j’avais 16 ans. Emile me racontait l’époque où, quand il fallait aller jouer avec d’autres batteries, mon père et lui mettaient leur tambour sur le dos, enfourchaient leur vélo… et s’en allaient pour la durée de la marche. Ils logeaient souvent chez le tambour-major de l’endroit… »
De son père, Jean « Canada-Grégoire », Alain a hérité « Waterloo », un curieux poème sur fond de tambour, retraçant les grandes lignes de l’épopée napoléonienne et de la bataille ; en quelque sorte un « one tambouri show » que Jean avait créé et dont Alain fait parfois le cadeau à ses amis marcheurs.
La tunique de Jean, parmi d’autres, figure dans les trésors d’Alain, son tambour est l’un de ceux qu’il bichonne.
Neuf tambours et cent mètres de corde !
Un tambour ? Un fût, deux cercles, une peau de timbre et une peau de frappe…et onze à treize mètres de corde. La préparation commence une semaine avant la Pentecôte : les démonter un à un (faisons le calcul onze ou treize mètres fois neuf tambours = une centaine de mètres de corde !), astiquer le fût, humidifier la peau de frappe et la retendre sur son cerclage. Tout remonter et prévoir quelques peaux prêtes à l’emploi en cas d’incident. Oui, comme dit la chanson « Ièss tambourî, c’es’tin mestî ».
Mestî qu’Alain pousse d’ailleurs plus loin encore puisqu’il prépare ses peaux lui-même. Les peaux de frappe du moins : celles de timbre, plus fines, nécessitent un outillage qu’il ne possède pas. Mais, pour préparer les peaux supérieures il a acquis un vrai savoir-faire qu’il exerce sans en tirer profit.
C’est un travail qui, pour des raisons olfactives évidentes se fait en hiver. En effet, quand il obtient une peau -il faut un veau de 150 à 250 kilos- elle lui est remise encore toute sanguinolente. L’opération à laquelle il va alors se livrer n’est pas un tannage mais l’élimination des poils. Pour cela, la peau sera immergée dans de l’eau et de la chaux vive et régulièrement retournée sur elle-même une semaine durant. Ensuite, elle est disposée sur un tréteau et les poils sont raclés au moyen d’un grattoir en bois, de façon à ne pas entamer le cuir. Ensuite -et ce n’est pas le plus gai- la peau est retournée et, au moyen d’un cutter, notre tambourî se met en devoir de détacher tous les restes de viande, de graisse et les dépôts divers qui y adhèrent. Puis, vient le moment de vérité: avec un cerclage de tambour comme gabarit, il détermine, en veillant à choisir des endroits où la peau est bien homogène et d’épaisseur constante, combien le veau va donner de peaux : deux, parfois trois, quatre dans les meilleurs cas. Les cercles sont découpés avec l’aisance nécessaire pour la fixation et les peaux sont alors étirées et clouées sur une planche. Après quelques jours, elles auront acquis leur forme et pourront être de nouveau humidifiées pour être, enfin, fixées sur leur cerclage… et faire leur travail de bonne et honnête peau de tambour d’Entre Sambre et Meuse.
Voir sur ce sujet: Tambours un beau roulement
Texte rédigé par Benoît Gaspar