Armand Dandoy

Armand Dandoy n'aimait-il pas Gougnies ?

Le 11 novembre 1834 un colosse est né à Gougnies. La preuve : 30 ans plus tard, quand, avec son équipe du « Cercle nautique Sambre et Meuse » de Namur il remporte, sur la Seine à Paris, une compétition entre sept esquifs à quatre rameurs, Armand Dandoy – le fait est relaté par l’écrivain Camille Lemonnier – pour aller chercher la coupe « s’avance vers le jury portant dans sa paume à bras tendus, Elysée Thiry, le barreur ». Certes, comme un jockey, un barreur est choisi pour son faible poids, mais quand même…

Armand Dandoy cependant n’est pas célèbre – encore que cette notoriété lui arriva avec retard – pour ses biceps mais parce qu’il est un des pionniers de la photographie d’art en Belgique.

Ses grands-parents, venant de Florennes, s’étaient établis, sans doute peu avant 1800, à Namur où le grand-père ouvrit une boutique d’apothicaire. Joseph, le père d’Armand étant quant à lui plutôt ingénieur devint, à ce titre, maître de forges et régisseur d’une exploitation métallurgique de la famille Puissant, comprenant un haut fourneau et deux forges dont les vestiges, le long de la Biesme, existent encore dans la propriété du « Château d’en bas ». L’ensemble comprenait aussi deux maisons et c’est dans l’une d’elles, vraisemblablement, que naquit le « petit » Armand.

Armand Dandoy, autoportrait. Non daté. 
Copyright Fonds Félicien Rops

Il préférait les grottes de Han

Mais, déjà, la métallurgie déclinait à Gougnies et la petite famille plia bientôt armes et bagages pour regagner Namur. Gougnies ne dut pas, il faut l’admettre, laisser un grand souvenir au bambin Armand puisque, par la suite, l’artiste ne revint jamais, sauf erreur, y tirer le moindre cliché tandis qu’il photographia à l’envi les grottes de Han, la vallée de la Meuse namuroise : une œuvre qui lui valut des lauriers à l’exposition universelle de Paris en 1878.

Retour donc à Namur où, en 1841, son père et son oncle font construire une maison rue Neuve (aujourd’hui rue Pepin). En face, habite un couple de marchands nantis et leur fils unique : un certain Félicien Rops. Les jardins sont contigus et les gamins, comme tous les gosses en pareil cas, créent des « passages secrets », fraternisent et deviennent amis quand ils ont le malheur de perdre leur père, chacun à un an de distance.

Quelques années plus tard, on retrouve Félicien Rops à la tête de l’ « Ulenspiegel » une publication qu’il créa à Bruxelles avec l’héritage de son père et qui connut un succès phénoménal, notamment en raison des dessins de Rops mais aussi grâce à la série d’articles au picrate d’un certain Charles de Coster, le futur auteur de « La légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses l’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandres et ailleurs ».

Dans le numéro du 31 mai 1857 de l’hebdomadaire « Ulenspiegel » on lit : « Nous donnerons dans notre prochain numéro un dessin de M. Rops gravé sur métal au moyen d’un procédé chimique tout récemment découvert par MM. Dandoy frères. Cette invention sera connue sous le nom de Passimétallographie ». Armand avait, il est vrai, un frère portant le doux nom d’Héliodore et qui, photographe également, s’illustra surtout à Liège.

Héliodore Dandoy. Portrait d'Armand Dandoy. Non daté. 
Copyright Fonds Félicien Rops

Un habitué du château de Thozée

Voici donc Armand Dandoy, Charles de Coster, Félicien Rops et quelques autres joyeux drilles réunis. Ils fréquentent assidûment le château de Thozée (Mettet) où demeurent Félicien et son épouse Charlotte Polet de Favaux, avant que Rops qu’on ne surnommait pas « le beau Fély » pour rien ne devienne l’amant (les amants devrait-on dire) de Léontine et Aurélie deux sœurs créatrices de mode qu’il rejoindra à Paris. Il aura d’ailleurs une fille de l’une d’elles qu’on prénommera Claire. Mais ceci est une autre histoire et, en 1862, la bande crée au lieu dit « Les Grands Malades » à Namur où se trouve actuellement une écluse, le « Cercle nautique Sambre et Meuse ». Rops qui est riche et généreux fournit le local, les hangars, les concierges… et dessine l’uniforme que devront arborer les membres. De Coster qui n’a que sa plume pour toute richesse écrit les paroles de l’hymne du club et Armand Dandoy fait des photos et, en cas de victoire, comme on l’a vu, porte le barreur à bout de bras…

Armand Dandoy. Autoportrait en costume du club nautique de Sambre et Meuse. Non daté.
Copyright Fonds Félicien Rops

Les bateaux du club ont pour nom « Rothomago », « Aline », « Anne », « Miss Brunette » (celui de la victoire à Paris) et « Céline ». Beaucoup de références féminines ? C’est qu’on s’intéresse beaucoup aux demoiselles dans ce club là… d’ailleurs Armand, en 1867, épousera Charlotte, la sœur de De Coster.
On marivaude, on s’amuse, mais on travaille beaucoup aussi. A cette époque Armand Dandoy est LE photographe de la bourgeoisie namuroise ; De Coster vient de publier « La légende d’Ulenspiegel » et Rops dessine, grave, expérimente sans cesse de nouvelles techniques et voudrait envoier Dandoy « en reportage » dans des estaminets afin de lui ramener des trognes de femmes ivrognes qui lui permettront de réaliser sa splendide gravure « La buveuse d’absinthe » exposée au Musée Rops de Namur. Armand cependant est aussi négligeant que Félicien et ne répond pas à ses lettres. Un jour, Rops s’énerve et lui écrit : »Donne moi l’adresse de Maes, le photographe d’Anvers, je voudrais avoir encore des buveuses d’absinthe. A propos lorsque j’aurai des dessins peu pressés à photographier, puis-je te les envoyer ». Cet extrait de lettre, datant vraisemblablement de 1877, nous éclaire à la fois sur un trait de caractère de celui-ci et sur les sources d’inspiration de Rops.

"La buveuse d'absinte" 
Copyright Musée Félicien Rops

Et le temps s'écoule ...

Rops connaît, de son vivant, une grande réputation… sulfureuse. Il s’éteint entouré de ses deux compagnes et de leur fille le 23 août 1898 à Essonne (Saône et Oise, en France).
De Coster à qui la « Légende d’ Ulenspiegel » n’apportera une notoriété qu’à titre posthume meurt dans la misère, rue de l’Arbre Bénit à Ixelles le 7 mai 1879.
Quant à « notre » Armand (dont le vrai prénom était d’ailleurs Ernest) Dandoy, meurt à Namur en 1898 il est, on le sait, un professionnel réputé, mais la reconnaissance de ses talents d’artiste ne viendra qu’à partir des années 1970. Justice lui sera vraiment rendue en 1996 par l’organisation à la Maison de la Culture de la province de Namur d’une exposition sur son œuvre et par la publication conjointe, par l’asbl « Entre Ardenne et Meuse », d’un ouvrage « Les couleurs de l’ombre » dont sont tirées la plupart des informations contenues dans cet article.

Un portrait de groupe en 1875 sur l'île de Noyon-Pré à Anseremme. Les deux autres photos constituent un détail de la première où, à gauche du groupe, on voit (assis, tricot à rayures) Félicien Rops; à droite: Armand Dandoy lui-même, venu rejoindre ses amis avant le déclenchement.

Photos copyright Société Archéologique de Namur

Texte rédigé par Benoît Gaspar