Le « Monsieur Propre » de Gougnies

Chaque civilisation a les ordures qu’elle mérite
(Georges Duhamel)



Chaque année, le printemps égaye le tableau de la nature en baladant la pointe de son pinceau sur le vert de la campagne. Les petites touches de couleurs vives font naître dans le décor les délicates fleurs du terroir. Lorsque Monet et Pissarro exprimaient leur talent sur la toile, ils ignoraient qu’un siècle plus tard, d’autres espèces sauvages allaient envahir nos fossés.

On assiste en effet aujourd’hui à la prolifération de parasites au niveau des zones fréquentées par les humains. Ces indésirables font partie de la famille des « incivilités » et semblent se complaire dans l’atmosphère riche en dioxyde de carbone caractéristique des bords de routes ou des trottoirs.

De nombreux spécimens se multiplient à une cadence inquiétante. Il paraît évident qu’une incontestable carence d’éducation appropriée favorise le phénomène. On peut noter que l’invasion et la santé de ces parasites évoluent en fonction du manque de temps et de bon sens consacrés à l’art de bien élever la nouvelle génération.
Ces espèces s’avèrent particulièrement nocives à l’environnement et sévissent tout au long de l’année. Seuls les jours de neige permettent à la nature de dissimuler ses maux sous un pansement immaculé. Mais dès le redoux, la misère réapparaît et certains prédateurs semblent prendre un sinistre plaisir à en étendre les dégâts.

Ces parasites sont cependant bien connus et n’ont de secret pour personne. Il serait tellement facile d’en éradiquer l’invasion, un peu de civisme suffirait, mais ces papiers gras, ces sacs en plastique, ces innombrables cannettes, bouteilles et autres spécimens indésirables narguent sans vergogne les gens du terroir respectueux de celui-ci. Triste constatation…

Ce qu'on n'aurait pas vu du temps d'Alexandre (montage Arnaud Tombelle) que l'on voit ici "en action" (photo coll. Willy Moreau)

Bien sûr certains se mobilisent. Des gens de bonne volonté retroussent régulièrement leurs manches pour rendre à nos villages l’écrin qu’ils méritent. Mais il faut sans cesse recommencer, le mal est tenace et la motivation mise à rude épreuve.
A Gougnies, on ne peut ouvrir le débat sans évoquer avec émotion le personnage emblématique du sujet, le très célèbre Alexandre. Sans relâche, par tous les temps, Alexandre guettait le moindre papier, la moindre ordure s’épanouissant sur les bas-côtés de nos rues et veillait à les effacer du décor, de quelque façon que ce soit, certes.
Ce qui faisait rire certains, parfois avec une pointe acide d’ironie, s’inscrit aujourd’hui dans le registre des souvenirs que l’on regrette manifestement. Notre village avait son « monsieur Propre », et au-delà des railleries, beaucoup appréciaient cette situation.

Il n’était pas rare qu’Alexandre frappe à votre porte avec dans les mains les déchets ramassés sur votre trottoir et vous demande de les mettre à la poubelle. Cela vous agaçait ? Peut-être, mais quand on y réfléchit bien, n’avait-il pas raison ? Ce que les psys actuels définiraient comme étant un trouble obsessionnel compulsif, n’était-ce pas une fameuse aubaine pour que nous soyons fiers de notre environnement ?

A l’instar des « Oscar » du cinéma, on pourrait imaginer les « Alexandre » du respect de l’environnement. Les nominés seraient appelés des « alexandrins » au grand bénéfice de toute la poésie de notre village.


Jean Marcelle