Les mouvements de l’artillerie

Le deuxième peloton enfile ses guêtres

Notre histoire commence en 1970. Né dans une famille de Marcheurs, Christian Beaurain a développé de profondes racines dans le sol du folklore gougnacien. A 21 ans, il s’engage à assumer les responsabilités d’officier du deuxième peloton des grenadiers de second empire dans le sillage de Franz Tamines.
Entretemps, le dernier peloton conduit par Jules Lebrun, mieux connu sous le nom de « Julot », décide, sous l’instigation de l’adjudant Roland Marcelle, d’adopter le costume du premier empire. Cette innovation est l’attraction du moment, mais finalement ces nouvelles couleurs au sein de la compagnie feront très vite partie du décor et les Gougnaciens tomberont naturellement sous le charme des guêtres portées avec plus ou moins d’élégance par des emblématiques anciens de notre Pentecôte.

Séduit par le succés de cette nouveauté et soucieux d’attirer à lui une nouvelle jeunesse, le deuxième peloton et son officier, Christian, créent en 1972 le plus bel échantillon des forces d’artillerie locales dévouées à sainte Rolende, les fameux « plastrons rouges », les incontournables artilleurs.
Lors de la première prestation du peloton, Christian est secondé par les sergents Lucien Gillain, dit « Le Cordonnier », et Robert Hébrant, bien connu également sous le nom de « Saturnin ».

Photos Rita, Aline et Ben
Et si on marchait avec un canon ? Mais non, pas une cantinière, un vrai canon !

En 1974, un idée germe dans le cercle de la famille Beaurain. Qui dit « artilleurs » dit « canon » et pourquoi pas imaginer la présence d’une pièce d’artillerie au sein du peloton ? Le projet va très rapidement se concrétiser et la réalisation de l’engin est mise en chantier avec tout le savoir-faire des artisans bien de chez nous.
C’est Augustin Beaurain, le papa de Christian, qui se lance dans l’aventure. Il est employé aux ateliers Marcelle et y dispose d’un matériel approprié pour la fabrication du tube. Sur le gros tour à courroies de l’outillage, Augustin usine un rond d’acier au diamètre de 60 mm, le fore sur toute sa longueur et l’alèse à 40 mm. Il réalise également une bague de maintien pour la bouche à feu et une douille en acier plein pour la culasse.

L’assemblage du tube entre la bague et la douille est fini par une tôle de garniture donnant au canon sa forme définitive. Le tube est isolé de la tôle de finition par une couche de sable destinée à amortir les chocs d’ondes et thermiques. Le tube est placé en biais dans sa gaine afin que l’orifice de la cheminée de mise à feu soit en communication avec l’âme.

Il faut ensuite réaliser l’affût du canon, autrement dit le support et les roues. Un artisan charron prend cette opération en main. Il s’agit de Felix Michaux de Biesme, grand-père de Pascal. Pour fabriquer toute cette partie du canon, Felix utilise du bois de pin d’Orégon, résineux européen au fil serré et facile à travailler, utilisé fréquemment pour la fabrication de charpentes.

Les premières roues de l’engin ont une origine qui n’est certes pas banale. En effet, ces superbes roues avec des rayons en bois, un moyeu en bronze et une bande en caoutchouc plein viennent en fait du mur du salon de Michel Caramin. Je pourrais en rester là mais vous m’en voudriez certainement de ne pas vous avoir dit ce qu’elles faisaient à cet endroit ! Bon, allez, c’est tout simple. Le grand-père de Michel conduisait à son époque la voiture du château Pirmez. Lors de la mise à la casse du véhicule en fin de carrière, il récupéra les roues en guise de souvenir. Il ignorait certainement qu’un jour son petit-fils les prêterait gentiment aux artilleurs de Gougnies pour véhiculer leur canon…

Première sortie de l'engin

Lors de la Pentecôte 1975, le canon tout neuf fait son apparition au sein de la compagnie et effectue sa première Sainte-Rolende. Afin de se rendre à Villers-Poterie et à Gerpinnes, il est transporté dans une camionnette de Nethydro. Jean Massaux et son épouse seront ainsi les parrain et marraine du nouveau-né aux éructations explosives.

C’est Richard Soumillon qui en assure la première bonne garde et la sécurité. Il passera ensuite le flambeau à Robert Hébrant. Comme pour toute mission périlleuse dans le cadre d’une opération militaire stratégiquement primordiale, les chefs ont le devoir et le pouvoir de désigner des volontaires. Ce n’est donc pas sans fierté que les artilleurs totalement dévoués à leur cause, Daniel Wéry et Freddy Hébrant, se chargent de déployer la force nécessaire à la bonne motricité de la pièce d’artillerie.

Une des premières sorties du canon, entre 1975 et '79.
Première ligne de g à d: Henri et Maurice Monnoyer, Yves Delforge et Claude Charlier. Second plan: Jean Monnoyer, Carl Nastavnij, Saturni (entre Henri et Maurice). A l'extrême droite: Pierre Marcelle et Julot.
Photo coll.Jacques Monnoyer
Une retraite anticipée

En 1979, les choses se compliquent pour le canon. Transport, maintenance, prise en charge deviennent trop fastidieux et le peloton décide de ne plus s’encombrer de l’engin pour le programme particulièrement astreignant des festivités de la Pentecôte à Gougnies.
Le canon est alors démonté, Christian en range les éléments à son domicile et les illustres roues retrouvent leur propriétaire.
D’année en année, le peloton grandit et l’histoire du canon semble se glisser définitivement dans l’album des souvenirs.

Montage de photos réalisé par Stéphane Beaurain et offert à Jean-Pierre Cabut par les artilleurs 
La renaissance

En 2004, sous l’instigation de Gaetan Moreau, des jeunes artilleurs manifestent le souhait de voir revenir le canon dans leurs rangs. Très vite, l’idée se concrétise et Christian fait alors officiellement cadeau de l’engin à la compagnie de Gougnies. Celui-ci doit être remonté et, afin de le doter de ses propres roues, Jacques Monnoyer entreprend des investigations. Il trouve et achète des roues métalliques chez Troc International. Cette acquisition permet au canon des artilleurs de reprendre du service lors de la Pentecôte 2004. Dans le but de faciliter le déroulement du programme, il est décidé de ne plus l’emmener hors du village. C’est donc au sein de son terroir qu’il se fait entendre, notamment lors de la prestigieuse remise du drapeau du lundi matin et au passage de la châsse de sainte Rolende à Gougnies. Pour assumer au mieux ses responsabilités envers le canon, le sergent Gaetan Moreau est aidé par Maxime Burton, Ludo Garutti, Antoine Mincke et Audry Remy.

En 2007, par l’intermédiaire de Patrick Maes, restaurateur et propriétaire de calèches à Villers-Poterie, Jacques fait l’acquisition de nouvelles roues en bois. L’officier du peloton, Jean-Pierre Cabut que tout le monde appelle « Bill », inaugure sa retraite en donnant à ces roues une nouvelle jeunesse.
En 2010, elles sont enrichies de bandes de caoutchouc neuves collées sur le cerclage. Le canon a maintenant fière allure et semble s’être parfaitement intégré dans le décor des artilleurs.
Le lundi de Pentecôte, après l’hommage rendu au monument par l’émouvante sonnerie aux morts, le silence qui enveloppe le coeur du village avec une dignité bien de chez nous est pulvérisé par le tir du canon. C’est une espèce de prière collégiale, un souffle du terroir qui donne la chair de poule…

Photos Sabine Dambremez, coll. Gaétan Moreau, Julie Delporte, Rita Beaurain, Sabine
Des officiers dignes de ce nom

Depuis sa création en 1972 par Christian Beaurain, le peloton des artilleurs a connu des officiers et sergents ayant parfaitement assumé leur fonction. Le peloton n’a d’ailleurs pas cessé de grandir dans le meilleur esprit de la Marche.
Christian tiendra les rênes du groupe jusqu’en 1979. Le sergent de peloton est alors Robert Hébrant.
Jean Monnoyer casse le verre et reprend le flambeau.

En 1982, Jacques, frère de Jean, est censé marcher officier porte-drapeau. Malheureusement, il se blesse peu avant la Pentecôte et se voit dans l’incapacité de porter la lourde bannière. Avec l’accord du corps d’office, les deux frères vont permuter et Jacques marchera ainsi un an dans la peau d’un officier des artilleurs. De son côté, Jean porte le drapeau… Tiens, situation prémonitoire !
Jean Monnoyer dirige le peloton jusqu’en 1990. Son sergent est alors Jean Jehu.
C’est ce même Jean Jehu, ayant parfaitement assumé ses fonctions de sergent, qui se présente au cassage du verre et s’engage ainsi à poursuivre la mission menée à bien par ses prédécesseurs.
Jean Jehu gère en bon père sa famille de plus en plus nombreuse et remet sa fonction en 2005. Ses sergents, au nombre de deux pour assurer l’organisation du groupe sans cesse en évolution, sont Jean-Pierre Cabut et Gaetan Moreau. Et c’est le plus ancien, Jean-Pierre, qui reprend le peloton.

Aujourd’hui, sous la houlette de « Bill », les septante artilleurs forment une équipe au sein de laquelle la convivialité ne manque en aucun cas. Ses sergents de peloton sont Yves Crassinis et Gaetan Moreau.

Photo Aline Cabut
La relève dans l'artillerie forme son peloton

En 1978, le nombre d’enfants s’inscrivant dans les artilleurs est devenu important. C’est ainsi que naît dans la compagnie le peloton des jeunes artilleurs. Ils sont, cette année-là, pas moins de 16 sous l’autorité du jeune officier Pascal Barbiaux. Il faut noter que cette place d’officier se renouvelle en consultation avec le corps d’office et ne fait l’objet d’aucune priorité au niveau du règlement.
Par la suite les officiers du peloton des jeunes artilleurs sont :

1981, Marc Moreau.
1984, Claude Vandemergel.
1986, Gaetan Moreau.
1988, David André.
1990, Luc maginet.
1992, Didier Maginet.
1995, Denis Cabut.
1997, Dimitri Dandois.
1999, Maxime Burton.
2001, Gregory Evraert.
2004, Maximilien Delporte.
2008, Arthur Mincke.
En 2009, les petits artilleurs sont au nombre de 18 et constituent donc au niveau de l’avenir du groupe ce qu’on appelle « une valeur sûre »…

Photos Ben et Rita Beaurain
Le peloton a son fanion

Lors de sa création, le peloton des artilleurs arbore un fanion tricolore fixé à la baillonnette du dernier soldat de la dernière guilitte, Christian Dave.
En 1986, un projet de nouveau fanion est dessiné par Thérèse-Marie Maquet. Il représente deux tubes de canons croisés et est brodé par les soeurs de Soleilmont.
Ce fanion défile actuellement sous la bonne garde de la dernière guilitte. Yves Crassinis, le sergent, et ses hommes, Philippe Goffinet, François-Marie Bonnejonne, Pierre Marcelle, Christian Hébrant, Eric Evraert et Henry Monnoyer, possèdent sans aucun doute « la force » pour apporter à l’emblème du peloton toute la protection qu’il mérite…

Avec le fanion tricolore, de g à d: Jean Jehu, Jean-Pierre Cabut, Pierre Marcelle et Christian Dave.
Les deux face du nouveau.
Photos coll. Jean Jéhu et Aline Cabut
Le fanion est bien gardé
Photos Ben et Josiane Bruneau
Devant un canon, autour d'une bonne table

Lors des festivités de la Pentecôte, les Marcheurs, quel que soit leur peloton, affectionnent particulièrement l’ambiance des repas. Il s’agit sans aucun doute de moments privilégiés. Les vitoulets ne sont pas seulement des accessoires alimentaires, ce sont de réels liens d’amitié à la table des traditions locales.

De plus, depuis quelques années, le peloton des artilleurs se retrouve au mois d’octobre pour de joyeuses agapes, en famille, dans la plus grande convivialité, et la bonne humeur y est bien entendu de mise. Ces réunions festives entretiennent le bon esprit du groupe et permettent d’échanger de bons souvenirs, voire d’émettre des suggestions pour améliorer encore la qualité des prestations. Les canons sont à cette occasion sur la table et se colorent en fonction du cépage choisi…

Le souper des artilleurs 2008
Photo Aline
Quelques anecdotes pour sourire.

Faune aquatique en péril…
Lors d’une des premières sorties du canon avec les artilleurs, la prestation de la compagnie à la Figotterie a jeté l’émoi dans le monde de l’aquariophilie.
Lorsque le major a baissé son sabre pour commander le feu de la décharge, l’onde de choc émise par le canon s’est immiscée dans le salon d’un riverain. Là, elle s’est montrée particulièrement supérieure à la résistance des vitres d’un aquarium dans les eaux duquel des spécimens multicolores d’espèces exotiques faisaient tranquillement des bulles sans se douter un seul instant de ce qui les attendait. La pêche à la dynamite étant interdite dans notre pays, la réaction du propriétaire n’a pas tardé. Le sauvetage des fish-sticks branchiés en perdition à peine assuré, le pauvre sergent Saturnin préposé au canon s’est vu affublé de noms d’autres oiseaux, pas palmés ceux-là. Personne n’a pu me dire si cette histoire s’est terminée… en queue de poisson.

Jehu César sur son char…
Un mardi de Pentecôte, la compagnie se rend au château. A son retour, elle s’arrête chez l’officier des artilleurs, Jean Jehu, qui, avec son épouse, Emily, offrent le verre de l’amitié. Oui mais voilà, à la grande stupéfaction de Dame Jehu, les artilleurs manquent à l’appel. Ayant vraisemblablement pris goût à la vie de château, l’artillerie se rejoue la grande vadrouille sur les terres de l’aristocratie.
Au moment où Emily va commander la décharge aux tireurs respectueux du programme, un épouvantable bruit de ferraille se fait entendre. On dirait qu’un peloton de robocops jamais lubrifiés défile avec un atroce grincement dans le hall d’une chaudronnerie. Et l’homme apparaît. Tel un empereur romain sur son char, l’officier attendu a pris place dans un tonneau sur roues métalliques trouvé par le plus comique des hasards dans la propriété du château et vraisemblablement destiné à abreuver l’une ou l’autre noble créature. Le véhicule-citerne est évidemment tiré par une équipe d’artilleurs sous bonne garde de leurs compères. Avant de commander la décharge à bord de ce char d’une autre époque, l’officier aurait pu ajouter : « Veni, vidi, vici ! », et conclure bien sûr par : « Nunc est bibendum ! »…

Photo Ginette Collin

Ils sont taquins…
Le mardi, l’arrêt des artilleurs à la rue de Dinant, avant ou après la visite au château, a toujours été le théâtre de diverses facéties souvent commanditées par les emblématiques anciens de la dernière guilitte. Il est vrai que le mardi, à cette heure-là, tout cela est bien légitime.
C’est à ce moment que les artilleurs vous expliqueront comment un sergent peut rater un rendez-vous au château en buvant du Schweppes. J’ai toujours dit qu’il fallait se méfier de ces boissons aux parfums pharmaceutiques, surtout dans certains contextes. En effet, les experts amis-amis ont retrouvé des traces de vodka dans les fonds de Schweppes… Ah ! Ils sont taquins les copains !
C’est à ce moment que les artilleurs vous expliqueront comment ils peuvent convaincre des agents d’une compagnie de distribution d’électricité, dont je dois déontologiquement taire le nom, à placer Emily dans une nacelle pour commander la décharge à 10 mètres de haut… On l’a vue disparaître dans un nuage de fumée et revenir au sol en toussant. Ah ben tiens ! C’est ça l’artillerie…

Septante et un…
Mais oui, on peut imaginer le peloton des artilleurs participant au jeu télévisé de RTL-TVI, « le septante et un ». Pourquoi ? D’abord parce que le nombre en question correspond plus ou moins à celui des soldats du peloton. Ensuite, parce que l’esprit du groupe engendre la faculté de bien faire les choses dans la meilleure des ambiances. Et puis surtout, parce que l’animateur vedette du jeu, Jean-Michel Zecca a marché dans le peloton des artilleurs de Gougnies en 1984… Et non, je ne vous dirai pas l’âge qu’il avait à l’époque, je ne suis pas habilité à concurrencer la presse « people »…

Jean-Michel Zecca, aux côtés de Marc Moreau, second sur la première ligne d'artilleurs.
Photo Collection Marc Moreau

Ceci dit…
Ceci dit, la compagnie de Gougnies est une belle Marche au sein de laquelle on a le sentiment de participer à l’une des plus belles manifestations de notre patrimoine. Tous les pelotons ont acquis leurs lettres de noblesse au fil des générations. Les artilleurs s’inscrivent parfaitement dans cet ensemble et il suffit de les voir défiler pour s’en convaincre, si cela est encore nécessaire…

Photo Rita Gaspar

L’attaque surprise de l’artillerie au bivouac du génie.
Lors de la campagne de Pentecôte 2004, le peloton du génie gougnacien au sein duquel s’illustre la fameuse « bande à watsoune » établit son campement sur le haut plateau des Hayettes dominant la plaine sur laquelle se déroule la grande bataille contre l’oubli et la morosité. La fierté de ce régiment est arborée sur une oriflamme claquant au vent au sommet de son mât. Profitant d’un relâchement de la surveillance du bivouac des hommes du génie, des volontaires choisis parmi les artilleurs les plus taquins déploient une stratégie sophistiquée et parviennent à subtiliser les couleurs des troupes d’avant-garde. Cette manoeuvre couronnée de succès engendrera entre les sapeurs et les artilleurs une sympathique complicité alimentée de diverses facéties nullement dénuées d’humour. Cette opération permet aussi, chaque année, de resceller autour du verre de l’amitié la charte de la cordiale entente.

Photo Jef

Jean Marcelle