Nos chroniques 2019

La petite chronique du mois de décembre 2019

Cher saint Nicolas,

J’ai appris que Père Fouettard et vous aviez été particulièrement touchés par l’engagement de la jeune Greta et de ses amis dans la sensibilisation de la société aux problèmes du réchauffement climatique.

Alors cette année, voulant rester dans vos bonnes grâces et soucieux de conserver à votre égard mon statut d’enfant sage, je me contenterai simplement de vous demander quelques oranges naturelles, non traitées et exemptes de toute manipulation chimique ou autre.

Comment ? Père Fouettard dit que ce n’est pas très sage ? Mais pourquoi ?

Ah oui, les oranges non traitées viennent d’Espagne par camion et l’empreinte carbone représente presque 100 grammes de CO2 par tonne et par kilomètre parcouru… Oufti ! Bon, oublions les oranges !

Sans doute pourriez-vous dans ce cas m’apporter des spéculoos, petites friandises croustillantes et naturelles fabriquées chez nous à votre effigie ?

Quoi ? Ce n’est pas très sage non plus ? Et pourquoi donc ?

Ces savoureux biscuits sont enveloppés dans du plastique et l’emballage est trop souvent abandonné dans la nature… C’est vrai aussi !

Je crois que je vais juste opter pour une petite gâterie en chocolat bien belge, joliment présentée dans un petit ballotin en carton recyclé. C’est bien comme ça ?

Comment ça, non ?

Les fèves de cacao, si naturelles soient-elles, sont importées de Guyane et le taux de pollution des avions gros-porteurs ou des cargos dépassent l’entendement ?

Ca va, j’ai compris !  Cette année, cher saint Nicolas, je me contenterai d’une poignée de noix, comme celles que l’on ramasse dans mon jardin.

Quant aux carottes du terroir que j’ai préparées pour votre âne, vous pouvez  les emporter, je les avais de toute façon arrachées à votre intention.

Que dites-vous ?  Père Fouettard évite de gaver votre âne de carottes parce que ça lui donne des flatulences ? Et alors ? C’est mauvais pour la couche d’ozone ?

Bon vous savez quoi ? Je vais garder mes carottes, me concocter une bonne d’joute avec du cochon de la ferme voisine et me la déguster avec un petit  rouge du Clos des Zouaves d’appellation Sambre-et-Meuse contrôlée.

Je me ferai ainsi une petite fête bio à votre santé !

Ah oui, avant de me mettre à mes fourneaux, je voudrais subrepticement vous suggérer, grand saint Nicolas, de jeter un coup d’oeil sur le manche du martinet de Père Fouettard. Il y est marqué « Made in China » !

Bonne fête tout de même !

Jean Marcelle

La petite chronique du mois de mars 2019

« Ce qui frappe à Cannes, c’est l’enthousiasme… » s’est exclamé Clint Eastwood à l’occasion du festival dont chaque marche du célèbre escalier se targue de posséder l’empreinte des plus prestigieuses semelles du cinéma.

Oui je sais, cette grande fête des cinéphiles a lieu traditionnellement en mai et mon évocation peut paraître anachronique.

Moi, ce qui me frappe au mois de mars, c’est l’enthousiasme de la nature à l’occasion du festival des grandes premières printanières.

Chaque élément indissociable de l’environnement semble motivé par l’ardeur retrouvée du dieu Râ et met un soin tout particulier à dérouler dans le jardin de mars le tapis vert pour un accueil digne de la notoriété des vedettes attendues avec une impatience récurrente.

Le jeu du soleil avec les bourgeons nouveau-nés évoque les éclats lumineux des photographes et sous les sifflements d’admiration des innombrables oiseaux locaux, les célébrités apparaissent habillées avec tout le talent de cette fine couturière à jamais inégalée qu’est Dame Nature.

Fidèle au rendez-vous, la grande famille des perce-neige ouvre comme chaque année le défilé du festival. Ils sont joviaux et délicats à la fois. Sur un pantalon un peu strict mais très finement dessiné, la veste de leur smoking respire la fraîcheur et la blancheur du renouveau.

Toujours prêts à taquiner les perce-neige, les muscaris agitent leurs petites clochettes bleues pour rappeler à leurs prédécesseurs qu’ils n’ont pas le monopole du succès auprès des naturophiles.

Et puis arrivent, dans un florilège de couleurs vives et avec une féminité qui ne laisse personne insensible, les merveilleuses jonquilles et leur prestigieux chemisier taillé et ciselé dans la plus jaune des étoffes que nous offre la flore du terroir.

Amies inséparables, les primevères apportent à la croisette de notre jardin une subtile imagination dans le choix des teintes printanières et leur mariage parfois inattendu. Dans le monde des stars, les mariages sont souvent inattendus…

Lui, par contre, il reste prudent, voire discret…

Le magnolia est sans conteste une grande vedette, mais il préfère souvent attendre patiemment la fin du festival pour se présenter sur les marches de la notoriété. Il craint la présence dans la foule d’un frimas animé de mauvaises intentions et susceptible de noircir son image d’un souffle glacial et pervers.

Et puis, on redécouvre chaque année avec plaisir l’animosité du forsythia. Il explose tel un feu d’artifice en une myriade de paillettes dorées dans les allées et les chemins du village.

Oh, il n’a rien de particulier à revendiquer, il n’y a aucun doute.

Mais certains critiques mal informés pourraient s’adonner au jeu des « fake news » et écrire dans leur chronique que c’est lui qui est à l’origine du mouvement des gilets jaunes…

Que le bon sens nous en garde !

Jean Marcelle

La petite chronique du mois de février 2019

« Oyez, oyez, bonnes gens… » souffle le vent du nord, « janvier se meurt, l’hiver perd vigueur ! ».

La nouvelle semble le réjouir. Il gambade de vallon en vallée, taquine en sifflant la cime des feuillus effeuillés de la monarchie ancestrale du Bois du Prince, tourbillonne gaiement comme les effluves poudrés du Pendu de la Saint-Roch autour du clocher de la Sainte-Croix et épouse dans les méandres de son lit la fraîcheur de l’éternelle jeunesse de la Biesme.

Les épousailles s’annoncent romantiques, point de pompeuse cérémonie. Le chant d’amour de la rivière se veut apaisante berceuse et les demoiselles d’honneur à la robe de fario offrent à l’eau cristalline les éclats d’argent d’une délicate alliance.

Parfois, manifestement jaloux de ce bonheur partagé, février perturbe la fête sans scrupule et avec une surprenante véhémence. D’un coup de tempête magique, il métamorphose le vent guilleret en irascible bougon et nous laisse impuissants face à cette soudaine mauvaise humeur. Il a son caractère, le bougre !

Et si, victime de cette colère inattendue, la rivière sort de son lit, c’est pour courir à travers champs en quête de nouveaux espaces pour s’y réfugier… Lorsque février aura retrouvé son calme, elle regagnera sagement ses pénates et pourra reprendre avec le joli vent d’hiver l’écriture en lettres givrées de leur idylle ancestrale.

Le plus petit mois de l’année vivrait-il mal ses penchants bissextiles ? Il semblerait en tout cas que ses sautes d’humeur soient de plus en plus fréquentes et violentes. Le monde scientifique lui accorde des circonstances atténuantes et évoque à tous azimuts les blessures qu’inflige notre mode de vie à l’équilibre écologique de la planète.

Février s’évertue peut-être tout simplement à nous le rappeler…

Lorsque la tempête se déchaîne en mer d’Iroise et que les vagues gigantesques fouettent le phare de la Jument au large d’Ouessant, les Bretons parlent des grandes colères de l’océan. Dans leurs veines coule le sang des marins qui depuis toujours manifestent un grand respect pour la nature.

Les grands sapins du parc du château se balancent au rythme des bourrasques téméraires qui s’élancent sans vergogne du plus haut échelon de l’échelle de Beaufort et dans un rugissement aux accents ouessantins, leur angoissante chorégraphie nous donnerait presque… Le mal de mer ! Je « nausée » pas le dire…

La métaphore n’est point fortuite car un dicton d’antan le confirme :

A la Saint-Valentin,
Tous les vents sont marins !

Jean Marcelle

La petite chronique du mois de janvier 2019

Certains n’apprécient guère le mois de Janus…

Ce dieu romain du commencement détient la clef de la porte qui s’ouvre sur l’année nouvelle. Souvent, les gongs crissent dans le givre des frimas et on aimerait bien vite refermer cette porte pour se protéger de la bise polaire…

Mais le mois de janvier au village a son charme.

Nos maisons aux pierres taillées dans l’histoire sont d’éternelles invitations à partager le confort douillet de l’âtre familial. Dans le ciel d’hiver, les cheminées offrent à l’horizon leur panache chaleureux qui inspire tant les enfants de l’école. Les crayons de couleur deviennent alors les mots avec lesquels ils expriment leur attachement à la terre qui est la leur. Une cheminée sans fumée est une maison vide et pour eux, au village, ça n’existe pas…

Le sol endormi se couvre de cristaux blancs, c’est dans l’ordre des choses, c’est le dessert glacé au menu des quatre saisons.

Et puis, sur les chemins caillouteux de notre campagne et les sentiers bucoliques de nos bois, un silence musical règne en maître des lieux.

Sur les vastes terres où le blé d’hiver dort paisiblement en attendant le grand réveil, le vent du nord murmure sa berceuse seulement interrompue par les avions de ligne quadrillant le ciel en traits de condensation.

Sous les grands feuillus dénudés, le tapis gelé craque sous nos pieds. Quand la bise reprend sa respiration, les branches des ramilles semblent accorder leur chant au diapason de la nature. Comme s’il s’était trompé de spectacle, un artiste inattendu attire subitement l’attention. Est-ce le lieu et le moment de jouer des castagnettes ? On imagine mal un flamenco en bonnet de laine et des claquettes en après-ski, cela ne doit pas être particulièrement commode…

Le costume est cependant coloré et le rythme parfaitement cadencé. En observant plus précisément la scène de ce numéro improvisé, on reconnaît un volatile bien de chez nous, le sympathique pic épeiche. Infatigable, il martèle avec énergie l’écorce attendrie par la vieillesse de nos grands arbres en fin de vie. Tant que le gel ne se fait pas trop sévère, il trouve dans le bois en décomposition des insectes en hibernation, sources de protéines et mets de choix pour le marteau piqueur à plumes. Et puis, si la froidure compromet ses investigations roboratives, comptez sur lui ! Il est intelligent et connaît parfaitement dans le village la position des nombreuses mangeoires que les habitants aménagent pour les mésanges et autres passereaux de nos jardins…

Si vous le repérez dans votre jardin, faites l’expérience : suspendez quelques sardines à une branche et observez-le. Il vole, pique et pêche…

Jean Marcelle