François Cabut

La rue du Bos-le-Comte résonne encore de ses coups de gueule quand un automobiliste y roulait trop vite, mettant en danger les enfants qui jouaient en se croyant en sécurité dans ce chemin en cul de sac. Il y avait là, tapant le ballon ou zigzaguant à vélo, Antoine, Aline, Jonathan, Denis, Marie et d’autres gosses venus d’autres quartiers de Gougnies moins sûrs.
 » Pépé Cabut  » veillait sur eux…
Il jouait aussi les juges de paix quand il y avait bagarre dans l’air et n’hésitait pas à installer, à même le trottoir, un atelier de réparation de vélos quand une chaîne avait sauté intempestivement

Le cœur sur la main : une minute de halte obligatoire, chaque mardi, devant chez lui, pour le « camion-poubelle » : le temps pour l’équipage de vider une chope, remplacée en hiver par un « café amélioré », mais toujours un Coca pour le conducteur. Même rituel pour le facteur. Quant aux fossoyeurs, une bonne soupe les attendait après chaque ensevelissement et peu importe si leur salopette était pleine de glaise alors qu’on venait de nettoyer: ils devaient entrer et s’asseoir! Ou alors, quand il était à son poste d’observation , à sa fenêtre du premier étage, c’était un « toc-toc » discret sur le carreau, pour attirer l’attention du passant bienvenu (ce n’était pas le cas de tous…) et lui signifier : « viens prendre un petit Ricard ».
On avait alors en prime l’accueil, la gentillesse et l’humour de Gaby.
Les soirs d’été, l’un et l’autre descendaient dans la rue avec leurs fauteuils pliants et prenaient le frais côte à côte. Alors, parfois sans doute, François faisait-il défiler sur l’écran de sa mémoire les plus belles images de ses victoires cyclistes. Elles ne manquaient pas.

Souvenirs des succès: la dernière photo a été prise à l'occasion de sa consécration comme champion du Hainaut
Victoire, désillusion...et euphorie à Liège

François est né le 30 novembre 1928 à Pont de Loup.
Mon papa,expliquait-il, était mineur et c’est lui qui m’a poussé à faire du vélo. Il m’envoyait faire des courses de village parfois loin de chez nous et je n’avais d’autre solution, pour m’y rendre que d’y aller à vélo !
Une forme d’entraînement, en quelque sorte…

Un jour, ce devait être au début de sa carrière, en 1946, le papa décide que François ira disputer une épreuve à Liège et, cette fois, il a quand même droit au train.
Cabut aimait raconter des anecdotes et le faisait bien :

A mon arrivée aux Guillemins, j’ai du demander où se trouvait le lieu du départ. C’était sur les hauteurs de la ville, assez loin de là… j’enfourche donc mon vélo et me voilà parti. J’ai gagné la course et, pour la première fois, je me suis retrouvé entouré de journalistes qui m’assaillaient de questions. J’avais le tournis… puis un gros bonnet est venu me remettre une enveloppe : la prime du premier. C’est alors qu’un journaliste me demanda :
-Et que vas-tu faire maintenant ?
Sans doute,
remarquait François avec le recul, voulait-il me parler de ma carrière. Mais je lui ai répondu :
– Je retourne à la gare pour reprendre le train de Charleroi.
– Charleroi ?
– Oui, c’est là que j’habite
Consternation ! La course était réservée aux licenciés de la province de Liège. L’enveloppe s’envolait…
Alors, expliquait François, je me suis mis à rouspéter (aucun doute sur ses aptitudes dans ce domaine là aussi…) je leur ai dit que c’était de leur faute, qu’ils n’avaient qu’à vérifier d’où je venais et que, de toutes façons je comptais sur la prime parce que je n’avais pas d’argent pour reprendre mon train… J’en ai tant fait et tant dit que l’un d’eux a pris sa casquette et a fait une collecte parmi les officiels et les journalistes.

Et il concluait, encore tout heureux :
finalement, j’ai eu plus d’argent qu’il n’y en avait dans l’enveloppe.

Des articles élogieux

On parle de lui. Des articles de presse sont consacrés à ce champion en devenir et, en 1949 ou 1950, Hector Mahau (journaux Les Sports et Le Rappel) lui consacre un article élogieux alors que François vient de terminer son service militaire. Extraits :

« Le bilan de ces deux premières années de compétition (1946 et 47) fut d’ailleurs des plus prometteurs ; en 1946. sur 64 courses. Cabut en gagna 18 et fut douze fois 2éme ; en 1947. il récolta sur 56 courses de débutants 17 victoires et huit deuxièmes places, et pour ses onze courses comme amateur, deux bouquets de vainqueur, trois deuxièmes places, trois troisièmes, la plus mauvaise étant une neuvième place. Il s’était ainsi classé onze fois sur onze… aussi l’année suivante, Cabut n’hésita pas à venir grossir les rangs des indépendants.
Malgré son jeune âge, son inexpérience et quelques défaillances… bien pardonnées, François Cabut mit un point d’honneur, en 1948, à vouloir terminer toutes ses courses. Il fut notamment 6e du Circuit Disonais, 7e de l’Omnium de la Route, 11e du Grand Prix Depau, 15e du Championnat du Hainaut et champion provincial, 16e du Championnat de Belgique. 14e de Liège-Charleroi-Liège et 14e également du Tour de Belgique dans lequel il aurait pu faire mieux encore s’il n’avait été accidenté à une quinzaine de kilomètres du but alors qu’il se trouvait en tête avec Bolly, Evens, Meurs et Blomme avec six minutes d’avance !…
Comme on le voit, Cabut savait choisir ses classiques mais dans les épreuves secondaires, il brilla également d’un éclat particulier.
A Châtelet par exemple, il ne fut battu, au sprint, que de dix centimètres par Verhaert, mais précéda Victor Jacobs, Close et De Mulder.
En fin de saison, François Cabut partit au Grand Prix Guelma en Algérie, y gagna une étape et termina septième. »

A ce propos aussi , François avait une anecdote savoureuse :

Le jour où j’ai gagné, en arrivant à l’étape, j’étais seul en tête et j’ai remarqué qu’il y avait un drapeau belge à la façade de la Mairie. Ca m’intriguait : comment pouvaient-ils savoir qu’un Belge allait gagner ?
Mais j’ai compris ensuite : le drapeau n’était pas pour moi mais pour un festival de cinéma où un cinéaste belge était invité (1) Le soir, en son honneur était donnée une réception à laquelle les coureurs belges étaient conviés. Je n’avais pas grand-chose comme vêtements avec moi et pour chaussures, je n’avais que celles de cycliste…
On imagine l’ambiance: discours, champagne, petits fours… François n’était pas fort à l’aise et encore moins quand une jeune femme demanda qu’on lui présente le héros du jour
Je ne savais pas du tout de qui il s’agissait. Elle était très jolie et j’étais fort impressionné. Et ne voilà t-il pas qu’on passe un air de danse et qu’elle m’entraîne sur la piste. J’avais l’air malin avec mes souliers de vélo !

Au bout d’un moment, elle me dit:
– Vous dansez bien
Moi je lui réponds:
-C’est ma maman qui m’a appris…
Et pour être gentil, j’ajoute:
-Mais vous aussi, vous dansez bien.
Elle a bien ri…
C’est après que j’ai appris qu’il s’agissait d’une danseuse étoile (2)

Sacré François !

La carte que François a envoyée, de Guelma, à sa fiancée Gaby. Pour elle, il était "Francis".

C’est en juin 1953 qu’il a mis fin à sa carrière après trois derniers beaux résultats comme on le verra ci-après.
Il avait été mineur et ouvrier métallurgiste, délégué syndical et d’humeur massacrante quand les Zèbres avaient perdu un match.
C’était un « dur » mais ses yeux s’humidifiaient quand il évoquait son papa et sa maman ou qu’il parlait de ses petits enfants…
Un jour de février 2002, très peu de temps après Gaby, il s’en est allé…

Benoit Gaspar

(1) Sans doute André Delvaux
(2) Peut-être Ludmilla Tchérina

François, Gaby et leur dernier petit-enfant Arthur.
Photos collection famille Cabut


Voir la poésie écrite pour Gaby et François à l’occasion de leurs noces d’or par Robert Bauffe

Extraits de son Palmarès

Marcel Gallez est réputé à Gougnies plutôt pour ses connaissances encyclopédiques en matière de football qu’en cyclisme. Mais c’est un homme de ressources et il dispose d’un palmarès de François établi par un grand spécialiste: Guy Crasset ancien journaliste sportif à Vers l’Avenir et fondateur de la Bourse de Wanze pour les collectionneurs du cyclisme. L’année 1948 ne s’y trouve pas mais elle est détaillée dans l’article de Hector Mahau ci-avant.

1947:
Débutants
1er à Moustier s/Sambre (entre autre)

Amateur
1947:
1er à Forville

Indépendant
1949:
3e à Névremont
4e à Châtelet
4e à Auvelais
5e de Liège-Fleurus
5e de la 3e étape du Tour de Belgique
8e du GP Maurice Depauw
Avec les pros : 5e du GP de Guelma (Algérie)
(2e de la 3eme étape; 4e de la 6eme étape)

1950:
1er à Silly
1er à Keumiée
2e de Louvain-Haillot
3e de Liège-Marche-Aineffe
4e à Erquelinnes
5e du Tour de Hesbaye à Landen
8e de Bruxelles-St Hubert
12e du Circuit des Régions Flamandes
27e du Tour de Belgique
Avec les pros:
4e de la 1ere étape du GP de Guelma

1951:
1er du GP du Printemps à Hannut
1er à Velaine s/Sambre
1er à Tongres
2e de Liège-Marche-Aineffe
3e du Circuit de la Meuse à Liège
4e de la Ronde Wallonne à Remicourt
8e du GP Maurice Depauw
9e du Circuit Disonnais
10e du Tour des Flandres
12e de l’Omnium de la Route à Thon
14e du Circuit des Régions Flamandes
14e de Bruxelles-Liège

1952:
1er du Circuit de la Meuse à Liège
1er à Zichem
1er à Andenne
1er à Fleurus
2e à Ligny-Boignée
3e de Louvain-Hailtot
4e de Liège-Marche-Aineffe
5e à Pontaury-Mettet
5e à Rumsdorp
6e de Bruxelles-Liège
7e à Warêt
8e de la Ronde de Hesbaye à Ciplet
14e de Liège-Charleroi-Liège
30e du Tour de Belgique
(2e de la 5e étape 3e de la 8e étape)
Avec les pros;
1er de la 3e étape de Cap Breton-Hossegor
3e de « Loire-Océan »
(8e de la 1ere étape)
10e du critérium de Namur
27e de Paris-St Etienne

1953:
1er de la Flèche Halloise
4e à Genk
9e de Liège-Marche-Liège

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