René Pouleur

René Pouleur a quitté Gougnies alors qu’il avait une bonne vingtaine d’années. Mais ses souvenirs du village (comme tous les autres, ainsi qu’on le verra ci-dessous) sont encore vifs. Il est né à l’actuel N°20 de la rue de la Tourette, là où réside aujourd’hui, une de ses soeurs, Monique. Il a également habité, au coin de la grand route et de la rue de Namur dans la maison de « Julot » Lebrun et de Gilberte Pouleur. Julot avait un commerce ambulant de fruits et légumes et Gilberte exploitait une station Shell ainsi qu’on peut le lire dans notre dossier sur les anciens commerces de Gougnies .

Certains souvenirs sont cuisants. Il en va ainsi des corrections infligées par le papa, Marcel Pouleur, quand, généralement avec sa soeur Monique, René faisait des « fredaines » comme aller marauder des cerises chez les Caussin ou des pommes chez les Minet… il est vrai que c’était tentant : les deux propriétés étaient pratiquement en face de chez eux.

Mais il en est d’autres : ainsi, alors qu’il travaillait (dans des fermes d’abord puis à l’usine) depuis qu’il était gamin, c’est grâce à un habitant de Gougnies qu’il a découvert le métier de monteur en charpentes métalliques dans lequel il allait faire carrière. Le premier pont auquel il a travaillé n’était pas loin d’ici, à Pont de Loup. Comme on l’apprend dans l’article que le mensuel local  » Malonne Première  » lui a consacré (1) d’autres chantiers furent ensuite bien plus lointains…

Photo G. Bouchez
Pour échapper aux dents d'un crocodile, il apprend à nager dans le Lualaba

Si votre doigt n’agit pas avec assez de conviction sur la sonnerie d’entrée, ne vous tracassez pas : un petit chien de 11 ans, amoureusement nommé Valentin, va compenser votre faiblesse d’un aboiement rageur dont le visiteur pourra se demander s’il est dirigé contre le gêneur qui l’arrache au farniente d’un fauteuil où il passe le plus clair de ses journées ou contre son maître qui ne réagit pas assez vite.
Toujours est-il que la porte s’ouvrira sur un monsieur au visage souriant dont le regard amical vous invitera à entrer.

René Pouleur, 81 ans, maître de céans depuis 1959 quand il épousa Lucie Porsont appelée mamouckka (ce qui en russe, signifie grand-maman) lui-même nommé papîly pour les intimes et notamment pour sa grande famille de trois enfants, huit petits-enfants et neuf arrière-petits-enfants, plus les pièces rapportées à tous les niveaux de génération.
C’est en 1927 qu’il vit le jour, à Gougnies, entouré ou encadré de trois sœurs avec qui il conserve encore des relations suivies, spécialement le mardi, jour sacré entre tous, où il les visite.
Après des classes primaires, il commence à travailler à onze ans, ce qui était alors, le lot de beaucoup de garçons. Quelques courts séjours dans de petites entreprises mais très rapidement, grâce à des copains, il se découvre le goût et les aptitudes de monteur en charpentes métalliques. Cela débute par des montages de carrousels pour les kermesses de village, puis, quelques séjours en usine.

En 1945, à l’âge limite, pour apaiser une relation familiale un peu difficile, il s’engage en tant que volontaire de guerre au 20ème bataillon de fusiliers, fera, sous la tutelle des anglais, quelques séjours en Allemagne où, ajoute-t-il avec un petit sourire revanchard, il participera à la garde des camps de prisonniers allemands. Il garde d’ailleurs, avec ce bataillon, un contact régulier, par l’entremise d’une revue et d’un bon repas annuel où les survivants se comptent de plus en plus rares et se racontent, en souriant ou avec un brin de nostalgie, leurs hauts ou petits faits d’armes.

Sa carrière de monteur

En 1952, il entre chez Finet, une entreprise de montages métalliques située à Jambes sur l’emplacement actuel d’Acinapolis. C’est là, dans cette société dont il regrette la disparition qu’il terminera sa carrière.

A part quelques cours du soir pour améliorer ses capacités de soudeur, c’est là qu’il apprendra et fignolera son métier sur le tas, comme on dit, ce qui ne l’empêchera pas de devenir chef-monteur, titre dont on le sent fier et qu’il promènera partout, notamment en Belgique ou Luxembourg, en Allemagne et… jusqu’en Afrique.
Les chantiers seront très divers et sur les lieux et sur les types de travaux : châteaux d’eau comme à Feluy, Seneffe par exemple, tuyauteries de récupération de cimenteries, maisons préfabriquées, baraquements militaires, réparations du matériel d’usine (surtout pendant les congés payés, ce qui ne faisait guère son affaire ni celle de ses compagnons de travail), pylône du fort d’Eben-Ernach et, surtout, surtout, LES PONTS, celui de Remouchamps, le pont des Ardennes à Namur, de Heer-Agimont, de Dinant, de Beez et, cerise sur le gâteau, le pont sur Lualaba à Kabalo, au Congo. Cet ouvrage devait, en plus d’une route, supporter la ligne de chemin de fer reliant Albertville à Kamina. La rivière en question avait ceci de particulier qu’en saison des pluies, son niveau monte de 13 mètres, ce qui compliquait singulièrement l’affaire mais n’a nullement altéré son souvenir de 22 mois de travail dans une ambiance de camaraderie, de revenus financiers intéressants et… de soleil, souvenir qui le fait encore rêver quand il en parle.

Ce qu’il ne raconte pas, c’est que, tombé à l’eau pendant le travail, il échappa aux dents d’un croco mis en appétit et cela… sans savoir nager. L’émotion fut si forte qu’il ne s’en remit que grâce à une pleine bouteille de whisky qu’il trouva « par hasard » sur la rive.

Autre souvenir qui révèle notre homme intarissable : l’Atomium, ce monument fétiche qui devait contribuer à faire la réputation de l’exposition de 1958.
Cette construction, prévue pour 5 ans et toujours en place, demanda aux ouvriers de FINET deux ans de travaux à raison de 12 heures par jour, nombre d’heures mal supporté un moment par l’équipe pour des questions de contributions, contestation qui obligea la Ville de Bruxelles à prendre en charge les suppléments des taxes qui faisaient grogner les ouvriers.
Et si vous prêtez attention, il vous expliquera clairement les pièces qui ont dû être changées ainsi que le nouveau type de recouvrement récemment mis en place.

Et maintenant ?

Quotidiennement, René est debout à 5 heures. Il procède à l’entretien de son ménage, assure sa cuisine, bricole, visite ses poules, discute avec son chien qui, à part de longs moments de sieste, le suit partout, surtout quand il sent que son maître s’apprête à partir, fait lui-même son jardin. Sa grande propriété l’occupe et le tracasse parfois un peu, surtout quand on vient faucher l’herbe et qu’on laisse pourrir les ballots de foin sur place.
Tous les jours, sa petite promenade, accompagné de Valentin, l’amène ci et là, ou dans sa grande famille où il est bien reçu, sans raison ou pour cause d’anniversaires qu’il ne rate jamais : question galettes ou un petit verre… de champagne si possible. Les « trois-fois-vingt » font aussi partie de ses horizons de même que de petites visites aux restaurants ou des voyages d’un jour.
Sa bonne santé lui permet tout cela. A part quelques petits pontages qui n’ont pas l’air de l’avoir fort perturbé, il vit bien (2). Philosophe, il ne se plaint guère ou jamais, ne garde de sa vie de travailleur que de bons souvenirs, même s’ils se sont parsemés de combats syndicaux ou de quelques intempéries dures à encaisser vu la manipulation obligatoire de matériaux lourds sans les protections actuelles dont bénéficient les travailleurs du secteur.

Généreux, il a longuement soigné son épouse pendant une pénible maladie, reste prêt à tous les coups de main qui lui sont demandés.
Quand il lui arrive de hausser un peu le ton, il sort une expression bien à lui : « dji t’di qui…» et qui fait sourire son allocuteur surtout s’il a vu le film «Bienvenue chez les Ch’tis».

Bonne route, René ! Qu’elle te soit encore longue, heureuse, comme te l’ont mérité ton amour du travail, ta générosité et ta philosophie.

Texte : Joseph Lorant
Photo : Guy Bouchez

(1) N° 235, mai 2008. Article reproduit avec l’aimable autorisation de « Malonne première ».
Contact: gh48collet(a)versateladsl.be ou 081/ 44 03 00
(2) Récemment René Pouleur a de nouveau eu quelques ennuis de santé, mais sa forte constitution (il est solide comme ses charpentes !) lui a permis de reprendre le dessus.

Quelques-uns des chantiers auxquels il participa, comme une tour d'aération chez le cimentier CCB, le pont de Remouchamps, l'atomium et (deux dernières photos) le pont sur le Lualaba.
Photos collection René Pouleur
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