Le folklore au service de l'éducation
Chaque terroir digne de ce nom connaît ses phénomènes sociaux. Avez-vous remarqué qu’au sein de notre belle Entre-Sambre-et-Meuse, le folklore joue un rôle éducatif particulièrement crédible ? Mais oui, n’avez-vous jamais entendu dire : « Mon bonhomme, si tu veux marcher à la Pentecôte, tu dois être sage, tu dois bien travailler à l’école. Pour être marcheur, tu dois devenir un grand garçon et si tu ne manges pas tes légumes, il n’y aura pas de costume pour toi ! N’oublie pas de bien te brosser les dents ! Tu te vois dans ton bel uniforme avec des dents toutes noires ? N’aie pas peur de l’orage, c’est le Bon Dieu qui commande une décharge… » et patati, et patata. Alors, on imagine, dans la tête du gamin, l’ampleur que prend cette étape de son enfance… Le rêve va devenir réalité, et même les parents prennent cela très au sérieux. A l’instar d’une première communion, les premiers pantalons blancs de l’enfant vont occuper une place de choix dans l’album de la famille. C’est normal, ce sont ces gènes-là qui se transmettent de génération en génération et qui déterminent la bonne santé de nos traditions. Et depuis plusieurs mois, le gosse ne pense plus qu’à ça… Un reportage diffusé à la télé montre la garde républicaine à l’occasion d’une visite officielle à l’Elysée, et instantanément le cortex du gamin réagit : « M’man ! Des marcheurs ! »
La première immersion
Le matin de Pâques, l’attention du petit bonhomme s’est portée sur la récolte des oeufs et des chocolats dans leur parure de fête. L’exaltation de la gourmandise infantile ô combien légitime a presque failli lui faire oublier l’événement du lendemain, surtout quand les cloches de l’église qui lui sont déjà familières ont joyeusement « triboulé », comme le disait si bien notre poète Robert Bauffe. Mais toute chaleureuse cette réunion de famille soit-elle, parmi les primevères et crocus colorés par le soleil printanier, la petite cérémonie ne semble pas constituer pour le gamin le fil rouge de la journée. « Demain, on va voir les marcheurs ! » Hé oui, là aussi le folklore local s’avère être un excellent outil mémoriel pour l’enseignement des notions de temps : « Encore une fois dodo, et on entend les tambours ! »… Qu’elle est longue cette matinée du lundi ! « Regarde, gamin, quand la grande aiguille est sur le douze et la petite sur le deux, on va au cassage du verre ! » Et puis ça y est ! Bien installé sur les épaules de papa pour bien voir, il domine la salle. Comme un coup de vent sur le foyer qui s’éveille, les premiers roulements de tambours attisent chez lui le feu inné, cette profonde vibration que nous, les enfants du terroir, connaissons bien. Lorsque ponctué par la marche au drapeau, le verre de l’officier se brise sur la pierre de l’engagement, maman lui crie : « Regarde, c’est Casimir ( pour ne citer personne afin d’éviter le reproche de toujours évoquer les mêmes sur gougnies.be), c’est le porte-drapeau, c’est lui ton chef ! » Celui-ci ne se rend sans doute pas compte qu’il est devenu pour le gosse le personnage le plus important du système solaire…
On essaie le costume
Oui mesdames, on vous le concède, nous arborons souvent un petit sourire taquin lorsque nous évoquons vos longues séances d’essayage à l’occasion d’un achat vestimentaire. Alors, il vaut beaucoup mieux que vous n’assistiez pas au passage de l’officier parmi les trésors du louageur.
Le costume doit être impeccable, les manches parfaitement ajustées, le plastron adroitement complice de la bedaine et les épaulettes bien droites. N’allez pas vous imaginer qu’il s’agisse là de quelque souci de coquetterie que ce soit. Mais non ! Il est tout simplement important que la tenue de l’homme corresponde à l’image de dignité emblématique de sa compagnie. Enfin, toujours est-il que pour le gamin, les premières secondes d’essayage le comblent déjà d’un indescriptible bonheur. Oui mais voilà, le costume restera dans le magasin, ce n’est pas tout de suite que la tunique ornera le dossier de la chaise de chambre d’enfant. Là aussi, papa doit faire preuve de délicatesse et de persuasion pour sécher les quelques larmes sur la joue du gosse un peu déçu de rentrer près de maman en civil.
Plus que trois fois dodo
Il a été sage…
Il a bien fait ses devoirs…
Il a mangé plein de légumes et s’est brossé les dents chaque fois que maman le demandait…
Le gamin a bien rempli toutes les clauses de son contrat, c’est donc dans la peau d’un grand garçon qu’il va pour la première fois vivre la Pentecôte ! Evidemment, depuis plusieurs semaines déjà, on compte en famille et en dodos le temps qui s’égrène. Maintenant que le costume est arrivé à la maison, que les pantalons blancs ont été soigneusement repassés par maman, que mamy, applaudie par papa, a acheté des chaussures noires de premier choix, l’excitation est à son paroxysme. L’agitation est perceptible au niveau de l’environnement. On parle de tartes, de vitoulets, du flacon de Sidol que papa cherche en jurant parmi les produits d’entretien afin de frotter les boutons de sa tunique et la boucle de son ceinturon en obéissant à l’injonction de maman : « Va faire ça dehors, ça fait des poussières ! » Ah, ambiance de Pentecôte, quand tu nous tiens… Et puis dans le village, des coups de fusils rebondissent de façades en pignons attestant du bon fonctionnement des armes et de la qualité de la poudre. En grandissant, le gamin comprendra que ce sont les meilleurs moments de la fête, après, les choses vont tellement vite !
Premiers pas accélérés
Mais qu’est-ce qu’il est fier, le gamin ! Son képi bien droit (ça ne durera pas) sur ses cheveux tout propres qui sentent bon le baby shampoo, il a le regard brillant de bonheur, les joues un peu rougies par l’excitation et la main cependant un peu tremblante dans celle de maman qui le conduit, dans les cliquetis d’un sabre parfois un peu encombrant, vers la place du village. Les officiers et tambours terminent le tour d’appel. Du coca que le porte-drapeau lui offre, il ne boit que quelques gorgées. L’émotion sans doute… Il y a du monde, beaucoup de marcheurs, et d’autres gamins, comme lui, qui vont escorter le drapeau de la jeunesse. Maman ? Elle n’existe plus ! Surtout quand les baguettes frappent les premiers « ra » d’une hollandaise qui ne sera certes pas la dernière. Le départ s’avère difficile. Ces grands font des pas de géant et ce foutu sabre qui vient toujours taquiner les gambettes ! Mais dès qu’il a compris qu’il ne lui serait pas reproché d’adopter un autre rythme que celui des adultes et qu’il valait mieux tenir son sabre que la main du porte-drapeau, l’exercice devient tout de suite beaucoup plus facile. Et c’est parti pour de nombreuses années…
Fabuleuse prise du drapeau
Fort des conseils bien clairs que l’officier a prodigués au sujet de l’alignement au pied du grand escalier de l’école, notre héros du jour a compris que la prise du drapeau était à Gougnies une cérémonie très importante. Et c’est vrai que c’est impressionnant. Les adultes eux-mêmes sont touchés par le faste du moment. Au rythme prenant de la marche au drapeau, toute la compagnie parfaitement déployée comme un éventail de dignité provoque chaque année chez les traditionalistes convaincus le frisson du terroir. Et ça, le gamin le sent, il s’en imprègne inconsciemment et en nourrit ses racines. C’est tout bénéfice pour l’avenir. Pour l’officier porte-drapeau, cette cérémonie constitue un moment de très grande émotion, unique dans le déroulement des festivités. Il est vrai que la tâche de cet homme n’est pas toujours de tout repos. Le drapeau est lourd, il offre au vent une prise qui ne facilite parfois pas les choses et les gamins constituent réellement une responsabilité. Mais la prise du drapeau, cette prise du drapeau, aucun officier ayant porté l’emblème de la compagnie n’en a jamais contesté l’immense richesse sentimentale. Chez nous, c’est comme ça !
Au secours !
Mais où va-t-il chercher toute cette énergie ? La journée a déjà été longue pour lui et on pensait bien que la rentrée de Gougnies allait y mettre un point final, lui apporter un repos bien mérité, près de maman avec une tartine de choco et le calme du domicile familial. Ah que nenni, maman, je vais à Gerpinnes ! Malgré les protestations des grands-parents offusqués par le laxisme de parents indignes qui exposent leur petit garçon à l’épuisement pur et simple, le superboy du jour obtient gain de cause et accompagne son papa pour la rentrée solennelle gerpinnoise. Maman, pour rassurer la génération précédente, garantit la réception et la récupération du gamin au parc Saint-Adrien. Il fait très chaud et l’officier porte-drapeau, couvrant des ailes de sa bannière une douzaine de petits gardes invités d’ici peu chez Morphée, se réjouit de voir tournoyer le bâton du tambour-major demandant la marche de Gougnies, celle qui accélère le pas devant les tribunes et le rapproche ainsi de l’arrivée. Mais à quelques mètres de celles-ci, au moment où les majors présentent les armes aux personnalités, son attention est attirée par l’attitude paniquée de notre gamin. « Qu’y a-t-il, mon grand, tu es malade ? » La réponse est terrible : « Je dois faire caca ! » Déjà dégoulinant, notre officier porte-drapeau se sent envahi par une bouffée de chaleur dont il se passerait bien. « Mayday ! Mayday ! Pas maintenant, pas ici ! Sainte Rolende, au secours ! » Sainte Rolende ne pouvait rester sourde à cet appel de détresse. Toujours attentive au bon déroulement des opérations, dame Jocelyne veillait au grain et, se faufilant parmi les centaines de spectateurs amassés sur les trottoirs, elle a compris qu’il y avait un problème technique à bord. Miracle ! Elle saisit l’enfant par la main et l’emmène chez un riverain pour le soulager. Le porte-drapeau ne remerciera jamais assez sainte Rolende d’avoir mis la brave Jocelyne au bon moment au bon endroit. Je sais de quoi je parle…
C'est bon pour demain
Le mardi pour ces petits marcheurs en herbe, c’est le thermomètre qui détermine la température de l’enfant atteint du virus du folkore. Si le gamin est levé avant son père pour demander à maman d’enfiler les pantalons blancs, il n’y a plus rien à faire, c’est irréversible. Et c’est pratiquement toujours le cas. Quand on est tombé dedans… Moi, je trouve ça formidable et ça me pousse à écrire que l’avenir de notre marche est un horizon sous un ciel serein. Les p’tits gamins sous l’drapeau, c’est le passé, le présent et le futur de notre patrimoine. Nombreux sont ceux parmi nous qui en ont savouré l’expérience. Le porte-drapeau est un symbole et il l’est d’autant plus que des lettres brodées en fil d’or mentionnent « jeunesse de Gougnies ». Vraiment, la prise du drapeau mérite les honneurs qui lui sont présentés au sein de notre village.
Depuis 1946
Dans l'ordre
- 1946: Albert Salmon (1er rang à droite)Photo coll. Jacques Monnoyer
- De 1947 à 1953: Alfred Hébrant. Photo coll. Joseph Baufays
- De 1954 à 1960: Arthur Borbouse
- De 1960 à 1963: Jean Carly
- En 1964 Christian Coussens. Photo coll Christian Coussens.
- De 1965 à 1975: Joseph Baufays. Photos coll. Jacques Monnoyer
- De 1975 à 1977: Jean Constant. Photo coll. Jocelyne Constant
- De 1978 à 1982: Jean Marcelle. Photo coll. Jean Marcelle
- De 1983 à 1999: Jacques Monnoyer. Photo coll. Jacques Monnoyer
- De 2000 à 2002: Marc Moreau. Photo coll. Marc Moreau
- De 2003 à 2010: Jean Monnoyer. Photo coll. Jacques Monnoyer
- Depuis 2011: Maurice Monnoyer. Photo Jean Marcelle.
1981, un nouveau drapeau
Début 1979, le corps d’office s’inquiète de l’état du drapeau daté de 1862. Les broderies se détériorent de plus en plus et le tissu de support se désagrège de façon alarmante. Il faut trouver une solution. La première piste suivie par les responsables du moment est une restauration du drapeau d’origine. Plusieurs entreprises spécialisées dans ce domaine sont consultées. Des religieuses réputées pour ces opérations délicates de restauration analysent la situation et sont formelles : le tissu est cuit et le démontage des broderies est devenu impossible tant leur état s’est fragilisé. L’idée d’une restauration de l’original doit donc être abandonnée. Il reste une solution, faire réaliser une copie de l’ancien drapeau et d’immobiliser celui-ci dans une vitrine afin de le préserver.
Le drapeau étant celui de toute la jeunesse de Gougnies, grâce au soutien d’ Henri Milis alors échevin de la nouvelle entité et du bourgmestre Raymond Brimant, l’administration communale accepte d’assumer le coût de la fabrication et en confie les investigations au corps d’office.
Le meilleur rapport qualité-prix est obtenu auprès d’une entreprise nivelloise qui nous apporte de sérieuses garanties et diverses références au niveau des techniques mises en oeuvre. Le délai nous assure la disponibilité du nouveau drapeau pour les festivités de la Pentecôte 1980.
Entretemps, nous préparons les cérémonies de bénédiction prévues pour le samedi de la Pentecôte. Un office est élaboré avec monsieur le curé et la chorale Saint-Remi. Les autorités communales, l’Association des Marches Folkloriques de l’Entre-Sambre-et-Meuse et les délégations des compagnies de l’entité et de la Sainte-Rolende avec leur drapeau sont invités. Séance protocolaire et réception doivent ponctuer cette journée.
Le mercredi qui précède les festivités, veille de la distribution des costumes, le nouveau drapeau promis et annoncé à plusieurs reprises n’est toujours pas là. Les contacts avec l’entreprise deviennent fermes et la direction de celle-ci doit nous avouer qu’ils confient la fabrication de ce genre de bannière à des brodeurs pakistanais, particulièrement habiles dans la manipulation du fil d’or et travaillant, bien sûr, à des prix défiant toute concurrence. Oui mais voilà, le nouveau drapeau devait être à Zaventem, dans un avion cargo en provenance du Pakistan et… il n’y est pas ! Il faut attendre une quinzaine de jours pour la livraison !
La première réaction, une fois les gentillesses à l’égard du fournisseur rangées dans le registre des expressions pas trop courtoises, c’est bien sûr la liquéfaction ! On est mercredi soir, on doit bénir un nouveau drapeau en grandes pompes samedi, et il n’y a pas de drapeau ! Mais l’équipe est solide, on s’entend bien et on a les capacités humaines suffisantes pour passer outre de ce piège monumental.
A nos plumes, à nos téléphones, à nos bagnoles, en avant toute, il faut décommander les festivités. Après avoir assuré la distribution des costumes habituelle, toute l’équipe se met au boulot et contacte l’ensemble des personnes concernées. On sortira sans trop de mal de cette aventure et finalement, la bénédiction qui aura lieu l’année suivante, le samedi de Pentecôte 1981, nous laissera de bons souvenirs et une fameuse anecdote à raconter…
Le drapeau de 1862 et le nouveau de 1981. La nouvelle statuette de saint Rémi réalisée par Benoît Baufayt en 2002
Quelques souvenirs de la bénédiction du nouveau drapeau, le samedi de Pentecôte 1981
Photos de gauche à droite: Les délégations et l'administration communale.
En place pour la salve d'honneur.
Avec le sergent-sapeur (Francis Sodini): Guy Geniesse, Jacques Ergot(Association)Henri Milis, Raymond Brimant et Gaby Gillain.
Le nouveau drapeau défile pour la 1ere fois.
Sous le regard attentif d'un grand marcheur, Jules Derenne
(Photos coll. Jean Marcelle)
Jean Marcelle