Les Puissant, Gougnies, le fer et le marbre

Parmi les familles qui ont compté pour Gougnies, les Puissant eurent une place des plus importantes : on trouve le patronyme associé à la métallurgie et au marbre, les deux fleurons du passé industrieux du village et du savoir-faire de ses habitants.

En 1934, l’hebdomadaire illustré « AZ » (1) a consacré un article à la famille d’ Albert Puissant qui posséda une carrière à Gougnies.
Mais avant de le reproduire et d’en venir ainsi au marbre, rappelons quelques moments importants de la métallurgie chez nous.

Comme il le fut rappelé lors du spectacle Guniacus 1103 monté en 2003 par des gougnaciens, la présence de fer dans notre sous-sol enrichit le village dès le 12e siècle. Au 14e siècle, il y a ici des maîtres de forges, des affineurs, des marteleurs.
Le patronyme qui nous intéresse apparaît en 1742 quand Pierre François de Sire (2) loua fourneaux, forges et maka à Jh Puissant.

L’activité s’étend, les Puissant rachètent peu à peu d’autres exploitations métallurgiques à Gougnies et environs jusqu’à ce que, en 1830, Ferdinand Puissant cesse ses activités à Gougnies pour créer « La Providence » à Marchienne-au-Pont. Il décéda trois ans plus tard, laissant une fortune immense dont on peut estimer qu’une bonne partie a été acquise ici. (3)

De 1904 à 2005, les Ateliers Marcelle prolongèrent l’existence d’une industrie métallurgique à Gougnies.

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(1)Il était édité par les Presses socialistes rue des Sables à Bruxelles
(2)Le blason de la famille a été adopté comme celui de Gougnies. Voir l’historique
(3) Source : « Le fer à Biesme et Gougnies » Pierre Jacquet.

Au pays de la marbrerie

La couverture de « AZ » du 25 novembre 1934 et les deux pages consacrées à l’industrie marbrière des Puissant

Merbes-le-Château, petit village entre Thuin et Erquelinnes, oasis de fraîcheur et de tranquillité, a connu, au cours du siècle dernier et jusqu’à la guerre, une renommée extraordinaire.
Qu’avait-il de particulier ce bourg de la Thudinie, pour briller d’une façon aussi éclatante? Il ne manquait pas de charme; baigné par la Sambre aux eaux paresseuses, piqué au sommet de la colline d’où émerge fièrement son vieux clocher bulbeux; portant le millésime de 1570, remontant très haut dans l’histoire, l’endroit était habité à l’âge du fer.
Merbes a donc des titres de noblesse qui l’apparentent à la haute antiquité.

Mais ni sa vieille histoire, ni son site extrêmement joli, ni sa magnifique grand’rue d’Erquelinnes bordée de maisons bourgeoises et d’une dizaine de châteaux ne pouvaient avoir donné à Merbes-le-Château sa renommée mondiale. Qu’était-ce alors ? Rien d’autre que d’avoir été le siège d’une industrie d’art universellement connue et appréciée: la marbrerie. L’industrie du marbre est sans doute l’une des plus anciennes. Elle remonte aux premiers âges de l’humanité et dans tous les pays du monde l’on s’en est servi pour tailler des chefs-d’oeuvres qui font encore aujourd’hui l’émerveillement de nos contemporains.

C’est à partir du 17e siècle que l’histoire parle des marbres de notre pays. Les marbres rouges de Rance commencent à se répandre pour la décoration des châteaux et des églises; le Palais de Versailles en est rempli. Notre industrie n’a cependant pas encore grande importance et il faut attendre la fin du 18e siècle pour voir se lever l’homme; l’ouvrier tailleur de pierre, qui va créer le noyau de ce qui sera plus tard l’importante exploitation de marbres de la société Puissant Frères.

Albert Joseph Puissant, né à Ghoy-la-Buissière en 1759; fils d’ouvrier carrier tailleur de pierre lui-même, exploite dès 1782, une petite carrière de marbre, Sainte Anne, située au Carme, au dessus du village de La Buissière. Les affaires marchent, Albert Puissant marié à Dame Jeanne Joseph Jehu, a quitté son village natal pour venir s’installer à Merbes-le-Château et de là, tout en dirigeant son exploitation il fait, au cours des années de la République, 1790 à 1800, de multiples achats de terrain qui agrandissent considérablement sa carrière de marbre.
Avec les progrès de l’exploitation le maître de carrière change de profession. Des actes d’achats le renseignent comme négociant, plus tard il devient industriel et en 1830, alors que l’industrie est dirigée par ses deux fils Romain et Adolphe ceux-ci signent les actes au nom d’Albert Puissant, rentier.

La famille des Puissant, industriels, est, en 1830, dans une situation tellement florissante que les deux fils peuvent choisir, comme épouses, les plus riches héritières de la région. Adolphe Puissant épouse une demoiselle Bertinchamp, tandis que Romain entre dans la famille Pècher, deux familles de très gros cultivateurs. Ce sang nouveau permet à la maison Puissant de grands agrandissements à l’usine.

De l’année 1833 à l’année 1838 les achats de terrains avoisinants la carrière de la Buissière sont nombreux. Au cours de cette dernière année, Albert Puissant, le fondateur de la maison, meurt, il est âgé de 79 ans. Une énorme plaque de marbre rappelle sa mémoire aux fidèles de l’église de Merbes tandis qu’au cimetière s’élève sur sa tombe une pierre tombale digne, à l’époque, d’un mort princier.

La disparition du fondateur ne fait pas ralentir les affaires. Les deux frères vont, en 1841, par l’achat de la propriété de Jean-Baptiste Modeste Doons, failli et propriétaire d’un moulin à eau pour moudre le grain, à deux tournants et trois paires de meules, d’une usine à scier le marbre, d’une maison d’habitation avec écurie et remise, le tout sur le territoire de la Buissière, adjugée pour la somme de 23.904 frs, installer l’usine confortablement et la Société Puissant Frères est du même coup constituée.
A partir de cette époque la puissance de la maison ne fera plus que grandir.

Lorsque vers la moitié du siècle dernier, le marbre rouge fut découvert dans les collines de l’Entre-Sambre et Meuse, la société s’assure, soit par concessions, soit par achats la possession des meilleurs gisements. Vingt cinq ans plus tard l’énorme extension prise par les affaires amène la société à s’assurer la production des marbres noirs de la vallée de L’Orneau, du marbre Sainte Anne de Gougnies (1) et du marbre blanc italien.

Entretemps la famille des Puissant a fait souche à Merbes. Adolphe Puissant-Bertinchamp est père de quatre enfants, deux garçons, Auguste et Romain et deux filles; Romain Puissant-Pêcher a, lui aussi, quatre enfants, deux filles et deux garçons dont Jules et Albert. Cette troisième génération porte la Maison Puissant à son apogée tant par la puissance de ses industries que par les alliances avec les plus grandes familles bourgeoises de l’époque, mais avec elle aussi viendra la décadence.
Les cousins constituent le 18 juin 1880, la société anonyme de Merbes-le-Château et ils apportent pour leur part avec la vaste usine de la Buissière, celle de Jeumont (Nord France), l’usine de Hambourg (Allemagne), une trentaine de carrières situées en Belgique, en France, en Italie, des dizaines d’hectares de terrains et les magasins de Bruxelles, Paris, Berlin et Saint Pétersbourg, une somme de 80.000 frs sur les deux cent mille fournis par l’ensemble des actionnaires.

En 1881, la société réalise un chiffre d’affaires de plus de trois millions de francs et en 1900 ce chiffre est passé à 4 1/2 millions. La fortune des Puissant est devenue considérable. Merbes n’est plus qu’un château; chaque membre de la famille possède le sien et Jules Puissant, fils de Romain et de dame Pècher, bien que déshérité par sa mère, pour avoir épousé la fille d’un garde barrière fait construire le fastueux château de Merbes qui lui coûtera plus d’un demi million et dans lequel il réunit une profusion de marbres les plus rares et les plus coûteux.

La société progresse toujours, sa réputation est grande. En Belgique il n’est guère de palais, de château, d’hôtel qui n’aient été décorés avec les marbres de la société. Citons le palais du roi, le palais de Laeken, le palais de Justice, le palais des Beaux Arts, etc. En Allemagne, le palais Impérial; au Brésil, le théâtre municipal de Rio de Janeiro; au Japon, le palais du prince héritier; en Russie, le Musée Stieglitz, etc. etc.

Avec la mort d’Auguste Puissant, survenue en 1902, commence l’ère de décadence des organisateurs de l’énorme société. Auguste, chef de la maison et grand travailleur, surnommé le petit « nom de Dieu » par ses ouvriers, n’est pas remplacé; la direction des usines passe dans les mains de mercenaires et la famille se désagrège et se ruine. Après la guerre la société doit fusionner avec Sprimont…. et la famille des Puissant a vécu.
A Merbes-le-Château, les châteaux disparaissent sous la pioche des démolisseurs et de la richesse des Puissant, il ne restera bientôt plus que les monuments funéraires pour rappeler la splendeur et le désaccord d’une famille qui en moins d’un siècle s’était élevée au plus haut de l’échelle sociale.

Deux photos du dossier illustrent la grandeur et la décadence de la famille. La première a pour légende: « Les monuments funéraires de la famille Puissant. Cimetière de Merbes-le-Château. » et la seconde: « Le château d’Auguste Puissant, portes et fenêtres arrachées, abrite une dizaine de familles de pauvres ouvriers. »

Document: collection Jacques Monnoyer

(1) Pour situer la carrière Puissant à Gougnies voyez notre dossier L’ascension de la motte

Autres dossiers ou photos concernant les carrières de Gougnies:

Les carrières en activité
L’ascension de la « Motte »
Le vieux Gougnies