Heures de guerre (1)

Cette rubrique que nous ouvrons aujourd’hui est consacrée aux faits de guerre qui, en 14-18 et en 40-45, ont frappé le village et ses habitants, qu’ils soient restés à Gougnies ou aient été dispersés par les conflits. Elle n’a pas d’autre ambition que de rappeler certains événements, parfois au travers de leur dimension la plus ténue : celle des souvenirs racontés de grand-mère à petit-fils, de quelques lignes d’un journal intime, d’une photo écornée.
Elle est vouée à s’enrichir dans les semaines et les mois qui viennent par les articles et documents que les animateurs de Gougnies.be ajouteront mais aussi, nous l’espérons, grâce à tout ce que vous pourrez nous amener comme contribution : souvenirs, témoignages, photos, coupures de journaux, documents divers relatifs aux deux guerres.

Gougnies.be aborde ce travail avec beaucoup d’humilité car nous ne sommes pas historiens mais nous sommes persuadés que, malgré toutes ses imperfections, il peut être utile à la sauvegarde d’une mémoire collective.

Nos sources seront, dans la mesure du possible, signalées avec la plus grande précision.
Par ailleurs, nous adressons nos plus vifs remerciements à MM. Philippe De Ridder, d’Oret et Marcel Houyoux, de Beaumont, historiens, amateurs certes, mais, on va le voir, combien documentés sur les mouvements de troupes et les combats dans la région !

Tout d’abord, quelques faits pour définir le contexte.
-La guerre de 14-18 a fait, dans les deux camps, près de 14 millions de victimes militaires. Les pertes civiles directes (bombardements) ou indirectes (malnutrition, maladie) sont estimées, dans l’ensemble des territoires touchés par la guerre, à 13 millions (1)
-Le 26 juin 1914 : assassinat du grand-duc François-Ferdinand d’Autriche à Sarajevo (Serbie)
-Le 28 juillet, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie
-Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. La veille, elle avait lancé à la Belgique (neutre) un ultimatum aux fins de laisser traverser son territoire par les troupes allemandes.
-Le 4 août à 8h deux divisions de cavalerie allemande entrent en Belgique par Gemmenich
-Le 17 août reddition du dernier fort liégeois (Flémalle).
La stratégie française est de stopper les Allemands à hauteur de la Meuse et de la Sambre. Dinant et Namur tombent cependant aux mains de ces derniers et, après de furieux combats le 21, à Tamines, Auvelais et Arsimont, les Allemands passent la Sambre. Ils sont d’une férocité inouïe à l’égard des populations civiles. A relever notamment :
-Le 21 août massacre de 650 civils à Tamines
-Le 22 août 160 maisons incendiées à Charleroi
-Les 21 et 22 août plus de 800 habitants massacrés à Dinant (2)

Pour autant que les informations leur soient parvenues, les habitants du village avaient donc toutes les raisons d’être terrorisés quand, le…

…dimanche 23 août 1914 : l’horreur déferle sur Gougnies
« C’est le dimanche 23 août, (…) que les troupes allemandes entrent à Gougnies venant du chemin de Sart-Eustache. Les Français viennent d’évacuer le village et les troupes d’invasion commencent leurs méfaits. C’est un vieillard de 82 ans nommé Thiry (3) qui sera leur première victime, il aurait, selon les Allemands, menacé ceux-ci d’un revolver. Au centre de la localité, les Allemands forcent les habitants à les suivre et constituent ainsi une trentaine de prisonniers dont le R. P. Dulong, Adelin Piret (Ndlr : conseiller provincial), Edmond Daffe et sa famille et bien d’autres… La peur est grande parce que l’officier qui les a arrêtés se vante d’avoir tué 200 civils à Aiseau. Pendant deux heures mortelles les prisonniers voient défiler les troupes allemandes. Ils seront heureusement relâchés par la suite car l’officier en question s’éloignera vers Fromiée. » (4)
Poursuivons le récit au travers de l’ouvrage de Schmitz et Nieuwland (5)

« La propriété de M. Piret est située au centre du village et coupée en deux par la route de Mettet à Châtelet: d’un côté, s’élève le château, de l’autre, la ferme. Tous les deux avaient été convertis en ambulance et les insignes de la Croix-Rouge flottaient partout. Mme Piret, sa fille Simone, Aimé Poncelet et sa femme, Mme Daffe et ses filles, Oscar Tayenne et sa femme, Emile Grégoire et d’autres y prodiguaient leurs soins aux blessés, quand tout à coup, vers midi, tandis qu’on transportait dans un chariot un officier français blessé, les Allemands achèvent le blessé d’un coup de pistolet et mettent le feu à la ferme. Le personnel qui s’y trouvait parvient à se réfugier à temps dans les caves, mais Émile Grégoire (59 ans), qui apportait des fruits aux blessés, est tué sur la porte d’entrée (6). Des dix soldats français soignés à l’ambulance de la ferme, six moururent carbonisés. (7)
Sur ces entrefaites, Adelin Piret, qui se trouvait au château, voyant brûler sa ferme et sachant que sa femme et sa fille s’y trouvent; se précipite dehors et, se jetant aux pieds d’un officier, le supplie de lui permettre de sauver les siens. Il est relevé à coups de pied et fait prisonnier. Son martyre commençait. Il avait pour compagnons de captivité Camille Guyaux, Jules Cassart, Victor et Léon André et Ernest Maillien. »

Un témoignage quant à l’attitude de M. Piret :

« Le fils de M. Piret fut tué à Liège. Lorsque les Allemands incendièrent plusieurs maisons du village, M.Piret interpella les soldats en leur disant : « vous avez tué mon fils, maintenant vous brûlez ma femme et ma fille, vous êtes des lâches et des assassins. » (8)

Effectivement, le 5 ou le 6 août 1914 Maurice Piret, 22 ans, soldat au 9e Régiment de Ligne avait été tué au combat à Ougrée (9).

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(1) Quid
(2) « Nos héros morts pour la patrie » Van Der Elst éditeur, Bruxelles 1920
(3) Il s’agit de Jean Thiry, surnommé « Li vî bierdjî »… peut-être l’ancien berger communal. Son décès est acté le 24 août dans le registre d’état-civil de Gougnies. Il est précisé qu’il est mort la veille « à 4 heures de relevée « (de l’après-midi). Il était veuf de Désirée Thibourt. Jean Thiry avait 84 ans et non 82 comme indiqué dans le texte cité. L’enregistrement du décès est assorti de la mention « Mort pour la Belgique »
(4) Extrait d’un article signé Michel Poulain en juillet 1974 dans « La Tourette » (Biesme).
(5) « L’invasion allemande dans les provinces de Namur et Luxembourg ».
« Tamines et la bataille de la Sambre. » Ouvrages signés Jean Schmitz secrétaire
de l’évêché de Namur et Dom Norbert Nieuwland de l’abbaye de Maredsous. (1920)
(6) Son décès est acté avec la mention « Mort pour la Belgique » sur le registre d’état-civil. Emile Grégoire était ouvrier marbrier et célibataire. A noter que cette mention patriotique est également portée sur la page où le décès de Adrien Crépin est enregistré. Celui-ci, un tisserand âgé de 62 ans, est déclaré « mort à son domicile ». Il ne s’agit donc vraisemblablement pas d’un soldat et l’âge, déjà, écarte cette hypothèse. Pourquoi Adrien Crépin est-il « mort pour la Belgique » ? Un acte de résistance à l’occupant ?
(7) Aucune mention, malheureusement, dans les registres d’état-civil
(8) Propos de Mme Adeline Hébrant rapportés dans « Un bonjour de Gougnies » édité en 1996 par le Comité des Fêtes de Gougnies.
(9) La transcription de l’acte de décès a été faite sur les registres d’état-civil de Gougnies le 30 juillet 1920 par Isaac Hébrant ff d’officier d’état-civil.

C’est ici, en face du « Château Piret » qu’avait été installée l’ambulance de fortune où brûlèrent les malheureux blessés français. Jusqu’à ces derniers mois quelques vestiges du bâtiment subsitaient.

Photo Ben
On entend le canon
L’installation d’une ambulance sur la place et le dévouement des Piret sont également relevés par Jules Marcelle dans son journal d’exode. Il raconte en ces termes la journée du samedi 22 (la veille, des Chasseurs d’Afrique s’étaient installés à l’Atelier) :

« Samedi matin 22 août
Départ matinal des chasseurs d’Afrique de l’atelier ; remerciements à l’officier. Constatation que tout est en règle, les prunes du jardin n’ont pas été touchées (…) Les premières bonnes nouvelles nous arrivent : on dit que les cadavres allemands s’amoncellent à Tamines sur la rive gauche.
On entend le canon dans 3 directions, vraisemblablement à Tamines, à Farciennes et à Châtelineau, là où se trouvent les ponts sur la Sambre ; crépitement distinct des mitrailleuses ; bonne nouvelle : on dit que l’artillerie française est bien placée ; un major de la Croix-Rouge nous confirme les bonnes nouvelles, mais il paraît nerveux.
Voici que d’autres nouvelles, des mauvaises, malheureusement, commencent à se glisser par-ci par-là, dans les groupes. On dit que les Français reculent.

Arrivée du premier blessé, un deuxième, puis un troisième, l’angoisse étreint les cœurs.
Voici un officier blessé étendu de tout son long sur une civière, sans mouvement, on le croirait mort ; un blessé passe, la face entièrement ensanglantée et enveloppée de linges, on a l’impression que la figure est emportée.
Les charretiers des environs ramènent des blessés de différentes directions ; certains de ces blessés reçoivent un premier pansement à la Maison Communale et sont dirigés vers des postes voisins de la Croix-Rouge ; d’autres sont dirigés vers Biesmes où sont installés deux postes de la Croix-Rouge. Le bruit du canon se rapproche à la fois des directions de Tamines, Farciennes et Châtelineau ; on entend distinctement les énervantes pétarades des mitrailleuses.

Des papiers carbonisés apportés par le vent tombent devant nous ; les heures deviennent tragiques. (…)
Des débris d’un régiment du 10ème corps français arrivent sur la place. Ces soldats racontent que leur régiment a été décimé par les mitrailleuses ennemies particulièrement bien retranchées dans les habitations et dans un clocher où les Allemands avaient arboré le drapeau de la Croix-Rouge.
A 700 mètres d’une tranchée, un régiment a été envoyé à la baïonnette contre un ennemi invisible. C’était folie, et les pauvres gars bretons dont ce régiment était composé, sont tombés par centaines avant d’avoir pu voir l’ennemi.
Les soldats racontent que les Allemands ont huit fois plus de mitrailleuses que les Français. (10) Ils profitent de tous les avantages pour se cacher sans aucun souci pour la sécurité des habitants.

Notamment ils s’installent dans toutes les maisons et s’emparent des fenêtres aux étages pour y installer leurs mitrailleuses.
Ils ont pris possession des clochers de Tamines, Auvelais, Roselies ; de là ils mitraillent à leur aise les Français aux alentours.
Sur la place de Gougnies, arrivent sans discontinuer des blessés français; Melle Piret, avec un dévouement inlassable, s’empresse auprès d’eux »

Il n’assistera pas aux incendies du lendemain : comme beaucoup de familles de Gougnies, les Marcelle étaient partis dans la soirée du samedi 22 pour ce qui, dans leur cas, devait se révéler être un exode de quatre ans.

Tirailleurs algériens et Chasseurs d’Afrique
A quelles unités appartenaient les militaires français puis allemands passés par Gougnies ?
M. Houyoux dispose, à ce propos, d’informations très précises.

Selon celles-ci , il semble que les premiers soldats français blessés vus à Gougnies par Jules Marcelle (voir ci-avant) appartenaient au 5e Chasseurs d’Afrique. En effet, le samedi vers 14h, le service sanitaire du 5e Chasseurs d’Afrique amène à Gougnies deux tués et cinq blessés. Peu avant, ce régiment avait rempli la mission d’éclaireurs de la charge de la 75e brigade du général Schwartz qui avait tenté de reprendre Châtelet aux Allemands. La 75e Brigade d’Afrique était composée du 1er Régiment de marche des Tirailleurs algériens et du 1er Régiment de marche de Zouaves commandé par le lieutenant-colonel Heude(11).

Dans son journal, Jules Marcelle parle de « débris du 10 e Corps français ». D’après Marcel Houyoux , il s’agit vraisemblablement du 25e Régiment d’Infanterie, commandé par le colonel Vérillon en provenance de Sart-Eustache où il s’est retiré après les combats meurtriers d’Aiseau et de Le Roux où le régiment a perdu environ 500 tués et environ 1.500 blessés, disparus ou prisonniers. Son effectif de départ était de 3.316 hommes. Enfin, on relève aussi le passage de Zouaves du 1er Régiment de marche et celui du 3e Groupe du 43e Régiment d’artillerie de campagne fort de 3 batteries de 4 canons de 75 et de 400 chevaux. Sous les ordres du commandant Marin, ce 3e Groupe avait essayé de soutenir au mieux la charge des Tirailleurs et des Zouaves sur Châtelet. Posté aux Binches, poursuit M. Houyoux, il s’est fait violemment canonner par l’Artillerie allemande et fut obligé de se replier par le chemin du Bois de Châtelet en direction de La Figotterie et de Gougnies où il arriva seulement vers 12h-12h30 vu l’encombrement des unités qui montent dans le Bois de Châtelet et des blessés de Roselies et d’Aiseau qui en descendent.

Situation chaotique dans le Bois de Châtelet comme en témoigne le Journal de Marche et Opérations du Service de Santé du 43e RAC : grappes de blessés qui s’accrochent aux chariots sanitaires, groupes d’isolés en piteux état, chevaux affolés et blessés, premiers soins donnés dans le bois par les médecins, obus et balles de mitrailleuses qui traversent les futaies etc.
Le 43e RAC, précise encore Marcel Houyoux, alla se positionner ensuite entre Hanzinne et Hanzinelle où les combats se rallumèrent le dimanche 23. (12)

D’autres informations encore, glanées cette fois par Philippe De Ridder : dans la nuit du 21 au 22 août, entre 1h et 5h du matin, trois régiments français passent par Gougnies en provenance de Biesme et se dirigent vers Aiseau et Falisolle par Sart-Eustache :
-Le 241e Régiment d’Infanterie du colonel Delmas. Il s’agit essentiellement de réservistes dont la date de naissance se situe entre 1880 et 1887. Ce Régiment comprend 2 Bataillons au lieu de 3 dans les Régiments d’active. Les hommes sont essentiellement levés dans les départements du Morbihan, de l’Ille et Vilaine et de la Loire Inférieure.
-Le 47e RI du colonel Poucet des Noailles, caserné à St Malo.
-Le 7e Régiment d’Artillerie de Campagne du colonel Haffner. Artillerie du Xe Corps d’Armée qui comprend 3 Groupes de 3 batteries de 4 canons de calibre 75 soit un total de 36 canons.

Les fusiliers et artilleurs allemands
Et les Allemands ? Marcel Houyoux reprend la parole :

Le Régiment de Fusiliers N°73 allemand, aux ordres du colonel-baron von Gregory s’est installé la nuit du 22 au 23 août dans Sart-Eustache. Il s’est mis en route vers 08h (heure allemande) c’est-à-dire 07h (heure belge) en direction de Gougnies où il entra vers 08h30 (heure allemande).
Ce Régiment était accompagné du FAR N°62 (Feldartillerieregiment, Régiment d’Artillerie de Campagne) du colonel Von Napolski.
Arrivés à Gougnies, ces deux Régiments bifurquèrent vers la droite en direction de Châtelet. Le FR N°73 progressa par Villers-Poterie et Gerpinnes pour se placer entre Hanzinne et Oret. Le FAR N°62 poursuivit sa route pour se positionner à Joncret et engager la bataille contre le 4e Zouaves à Tarcienne. (13)

Le colonel-baron von Gregory : s’il n’a peut-être pas ordonné directement les exactions à Gougnies, du moins les troupes qui les commirent étaient-elles, vraisemblablement, sous ses ordres.

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(10) Affirmation inexacte relève M. Houyoux qui précise : le nombre de mitrailleuses en août 1914, dans un régiment allemand, comme dans un régiment français, est de six. Simplement, les Allemands en font un usage plus meurtrier en les installant en avant de l’infanterie et non en soutien de celle-ci comme le font les Français
(11) Source : JMO Service de Santé du 5e Chasseurs d’Afrique-SHAT Vincennes
(12) Source : JMO 43e RAC-SHAT Vincennes
(13) Source : Historique du FR N°73, Herman Plote, Bligny sur Ouche, France.

Prisonniers des flammes
C’est donc vraisemblablement aux soldats de ce colonel-baron von Gregory qu’est confronté, dans la matinée du dimanche 23, François Bancu. Il a 40 ans et est le fils d’Henri Bancu et de Gertrud Burgund , d’origine allemande, décédée l’année précédente.
Gertrud n’a jamais parlé qu’allemand à son fils qu’elle appelait d’ailleurs Franz. Quand, de la maison familiale, récemment bâtie près de l’église, « Franz » voit les Allemands arrêter Adelin Piret et les autres personnes citées ci-avant, il se précipite et tente, en allemand, de plaider leur cause.

Gertrud Burgund. (coll. Laurence Nanni)

Mal lui en prend : on le prend pour un déserteur et on le menace d’être fusillé. François implore grâce et parvient à convaincre qu’il est Belge. On le laisse aller et même s’approcher du bâtiment de la propriété Piret, sans doute celui où se trouvaient les blessés français, auquel les Allemands ont mis le feu.

Dans les caves, une dizaine de personnes, vraisemblablement celles qui soignaient les blessés, sont en train de suffoquer. Elles n’osent sortir car elles entendent parler allemand. L’une d’elles, plus hardie, prend le risque de s’échapper et entraîne les autres : c’est Alice Poncelet. Elle est enceinte de celui qui sera le dernier bourgmestre de Gougnies avant la fusion des communes : Aimé André. Celui-ci naîtra trois mois plus tard, le 29 novembre.

La jeune femme se réfugie chez François/Franz où Léona, l’épouse de celui-ci, l’empêchera de regarder sa propre demeure, un peu plus haut (14), qui commence à brûler elle aussi…
Les Allemands qui disposaient de pastilles incendiaires ont bouté le feu à 17 maisons du village, non seulement sur la place mais aussi, notamment, au Tambour. Revirement de ceux qui avaient voulu fusiller François Bancu : ils ont, à l’attention de leurs congénères, chaulé sur sa façade l’inscription, en allemand « préservez cette maison » (15)

Outre la calligraphie , témoin d’une époque bien révolue, on peut déduire de cette page du cahier scolaire de Marguerite Bancu, fille de François/Franz qu’en 1916 à l’école de Gougnies on ne semblait pas craindre une inspection des Allemands. Le reste du cahier est truffé de maximes comme « La mort à laquelle on se dévoue pour la patrie n’est pas prématurée à quel âge qu’on meure » « Patrie ! Le plus beau mot de la langue après celui de Dieu » ou encore « La conquête brutale est l’erreur de la gloire » et « Un peuple qui se défend ne périt pas ».

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(14) La maison porte actuellement le N° 17
(15) L’ensemble de ce récit est basé sur les souvenirs que Marguerite Bancu-Carly , fille de François et de Léona , a confiés à ses enfants.

Rapport américain et Livre Blanc allemand
Les exactions allemandes à Gougnies sont également attestées par le rapport envoyé le 12 septembre 1917 à son gouvernement par Brandt Whitlock, ambassadeur américain à Bruxelles.
On peut y lire :

« Gougnies a été saccagé le 23 août. Aucun coup de feu n’avait été tiré ici et les premières troupes étaient passées dans le calme. Le dimanche 23, arguant que des civils avaient tiré sur leurs troupes, les Allemands boutèrent le feu en divers endroits du village. Dix-sept maisons furent incendiées dont l’une où M. Piret, conseiller provincial du Hainaut, avait établi un hôpital. Dix soldats français blessés y brûlèrent vifs. M Piret en dépit de son grand âge a été emmené et fut tué le lendemain à Le Roux. Deux autres habitants de Gougnies, MM. Thiry, 83 ans, et Grégoire, 56 ans, furent également abattus. » (16)

Gougnies , on le sait, ne fut pas, loin s’en faut, la seule localité où des civils furent victimes des troupes allemandes.

En 1915, confronté à l’émoi international suscité par ces atrocités, le ministère allemand des Affaires étrangères publiait un Livre Blanc officiel intitulé « La guerre du peuple belge. Une violation du droit international » où il accuse la population de notre pays d’avoir nourri en son sein des francs-tireurs prenant pour cible les troupes allemandes victorieuses : ce qui s’en suivit n’était, en quelque sorte, qu’une juste réaction…

Dans son annexe 33, le Livre Blanc expose le témoignage du major Esche, chirurgien en chef de l’hôpital de campagne 7, N° 73 du 10e Corps d’Armée qui était installé au château Toussaint.

« Le 24 août, vers six heures du soir, des habitants de Biesme ouvrirent le feu à partir de leurs maisons sur une colonne de soldats qui traversait le village. Un détachement d’une cinquantaine d’hommes du régiment N. 164, qui gardait 216 prisonniers dans le jardin du château, où l’hôpital de campagne N.7 avait été établi, se déployèrent pour faire respecter l’ordre, alors qu’en leur absence, les hommes légèrement blessés prirent la garde des prisonniers. Le sergent Kortbein et deux chauffeurs attachés à l’hôpital de campagne N.7 (Schmidt et Dietrichs) constatèrent que les tirs provenaient de deux maisons.
Selon le témoignage des propriétaires du château de Gougnies, dans lequel le personnel médical et d’autres membres de l’hôpital de campagne s’étaient établis, le conseiller provincial Adelin Piret de Gougnies, s’était mis à distribuer aux habitants les armes qui avaient été fournies à la maison communale. Les détachements militaires passant à travers le village en essuyèrent les tirs. »

Cette version des faits est mise à mal par l’ouvrage de Schmitz et Nieuwland :

La « propriétaire du château de Gougnies », dont fait mention le rapport du Livre Blanc, ne peut être que Mlle Pirmez qui se trouvait au château de son frère, M. Albert Pirmez, engagé volontaire de guerre, et qui, en effet, hébergea les officiers du service de santé, et parmi eux le Dr Esche. Nous possédons un récit des évènements racontés par Mlle Pirmez sous la foi du serment, et qui rapporte, entre autres choses, sa conversation avec le Dr Esche. « Comme il me disait que M. Adelin Piret avait distribué les armes aux habitants, je lui répondis que, sur l’ordre de mon frère, toutes les armes avaient dû être apportées à la maison communale et que M. Piret, en l’absence de mon frère, s’était chargé de faire rentrer celles des gens du village. Je protestai donc énergiquement contre ces accusations portées contre M. Piret qui nous était si honorablement connu. L’officier m’imposa silence, disant que les Allemands ne se trompaient jamais ».

On voit, concluent les auteurs de l’ouvrage, « combien cette version diffère de celle rapportée par le Dr Esche, aussi invraisemblable que fausse. »

Adelin Piret et sa tombe au cimetière de Gougnies

Photos Ben
Ils donnent également plus de détails sur l’ambulance et le martyre enduré par Adelin Piret .

«Retenus d’abord quelque temps aux carrières de Gougnies, les six prisonniers sont conduits sur le champ de bataille à Biesme, derrière le château Toussaint. Là, les soldats leur lient les mains derrière le dos et les jettent comme des colis sur un chariot, puis les forcent à en descendre et les font marcher à travers la campagne. Ils sont ensuite attachés à des voitures et obligés de marcher à reculons pendant un kilomètre ou deux. Les chevaux allant parfois trop vite, plusieurs, incapables de marcher de cette façon assez rapidement, sont traînés par terre sur une certaine distance. Le soir, ils sont ramenés près de la maisonnette du chemin de fer de Gougnies, où ils passent la nuit, étendus par terre, et d’où ils peuvent apercevoir les incendies qui s’élèvent. Dix-sept maisons furent brûlées.

M. Piret est surtout l’objet de la colère de ses geôliers. Son chapeau a été fendu d’un coup de matraque qu’un soldat lui avait asséné sur la tête; de nombreux coups lui sont donnés au moyen d’un tronçon de fusil, retrouvé brisé à la maison communale.
Le lundi matin, les captifs sont dirigés sur Biesme, où ils sont mêlés à des prisonniers de cette localité de tout âge et de tout sexe. On les ramène au château Toussaint, où ils doivent rester la figure tournée contre le mur, avec menace d’être fusillés s’ils ne se conforment pas à cet ordre. Depuis leur arrestation, ils n’ont reçu aucune nourriture; un verre d’eau leur est même refusé.
Le mardi, la pénible promenade des prisonniers reprend. On les fait passer par Devant-les-Bois et, lorsqu’ils arrivent au hameau de Cocriamont, paroisse de Le Roux, M. Piret est séparé de ses compagnons d’infortune.
Quand ceux-ci se furent éloignés de quelques centaines de mètres, ils entendirent des détonations. La pauvre victime venait d’être abattue en face de la ferme occupée par Léon Duchâteau. (…) Le cadavre fut identifié et inhumé sur place par les soins de Jules Lambert et de Léon Duchâteau. Quelques jours après, le fils de la victime (17) fit exhumer la dépouille mortelle de son père et la transporta au cimetière de Gougnies. Les cinq autres prisonniers furent déportés en Allemagne, où ils demeurèrent plusieurs mois. L’un d’eux ne revint qu’après plus d’un an. »

On ignore où les soldats français morts dans l’incendie ont été inhumés. Philippe De Ridder, a relevé que le 5 octobre 1922 les corps de sept soldats français ont été exhumés du cimetière de Gougnies pour être transférés à l’ossuaire d’Aiseau parmi les 2875 victimes de la Bataille de la Sambre. Les malheureux qui ont péri dans les flammes de l’incendie criminel étaient, peut-être du nombre.

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(16) http://www.firstworldwar.com/source/germanatrocities_usreport.htm
On notera aussi que l’ambassadeur parle de dix soldats français brûlés et l’ouvrage de Schmitz et Nieuwland de six..
(17) Il s’agit sans doute de Raymond Piret, né le 5 juin 1893.

Un « village belge » en Angleterre
Durant le conflit, quelque 3.000 Belges, civils et militaires, ont vécu, plus ou moins longtemps, dans une localité anglaise. On avait même baptisé «Elisabethville » le camp où ils étaient hébergés.
Freddy Grégoire, de Gougnies, se souvient :

« Mon père, René Grégoire, blessé d’une balle au visage lors de la bataille des Flandres pendant la guerre 1914-1918, fut évacué dans le village de Birtley, à 15 kilomètres de Newcastle en Angleterre, près de l’Ecosse.
La- bas avait été construit ce « village belge : en fait, il s’agissait d’un camp délimité par une clôture. On y avait même ouvert une Gendarmerie belge et des services belges pour l’administration et la gestion du site. »
Quelque trois mille de nos compatriotes transitèrent par ce village et un certain nombre qui y sont décédés furent enterrés dans la localité où il resterait aujourd’hui cinq tombes belges.

A sa guérison, René fut affecté à une fabrique de munitions qui fonctionnait à Birtley
C’est là qu’il rencontra une jeune Anglaise, Béatrice Birleson qu’il ramènera à Gougnies pour l’épouser, un voyage d’ailleurs assez pittoresque puisque les tourtereaux durent faire le parcours Ostende-Gougnies en charrette.
Soixante ans durant, Béatrice s’est occupée de l’entretien de la tombe de James Hamilton Smith, ce jeune pilote de la Royal Air Force inhumé à Gougnies (voir ci-après). Elle a accompli cette tâche comme un devoir patriotique, ignorant qu’à cette fin la commune recevait un subside des autorités britanniques.
Cette allocation est toujours accordée et chaque année avant le 11 novembre, un émissaire anglais vient vérifier l’entretien de cette tombe.

La rue de Birtley longeant « Elisabethville ». Sur la seconde photo, à gauche, un bistrot devenu, en quelque sorte « le café des Belges ». Troisième photo: l’intérieur de la « gendarmerie ». Quatrième: l’usine de munitions où étaient employés, entre autres, les blessés à nouveau valides.

Photos collection Freddy Grégoire

(Ajout du 30/01/07)Le village belge avait même son jeu de balle! Cette carte, signée « Michel » est datée du 20-11-1918. Elle a malheureusement été postée sous enveloppe si bien qu’elle ne comporte pas le nom du destinataire. Rien ne nous dit donc qu’elle a été envoyée à quelqu’un de Gougnies. Mais si elle réveillait des souvenirs, n’hésitez pas à nous les faire connaitre. Le texte est le suivant: « A ma chère grande soeur. Je viens de recevoir ta lettre et je suis heureux de savoir tout le monde en bonne santé. J’espère être à la maison pour la Noël ou avant la nouvelle année (…) Je t’envoie une vue du jeu de balle, tu peux voir la limite du village anglais et belge. J’ai beaucoup de choses à raconter. J’espère que ça ne va pas trop mal là bas pour le manger. Tache toujours d’avoir une bouteille ou deux pour quand je viens. Bien les compliments à tout le monde et une grosse baise de ton grand frère Michel »

Collection Laurent Bonniver
Cinq « lettres australiennes » écrites de Gougnies
Entre décembre 1918 et mars 1919 des soldats australiens ont séjourné dans la région et c’est sans doute avec étonnement que les habitants de Gougnies ont découvert leurs couvre-chefs si caractéristiques. Ces troupes appartenant à la première division australienne avaient été envoyées chez nous pour parer à un éventuel sursaut des troupes allemandes. Ils rentrèrent au pays dès que furent signés les accords concernant l’occupation militaire de l’Allemagne.

Cette photo a été prise devant la maison portant actuellement le N° 8 de la rue des Hayettes, ce bâtiment abritait leur quartier général. Nous possédons aussi une photo des mêmes personnages, prise celle-là sans nul doute sur la place du village mais nous n’avons, jusqu’ici, pas obtenu l’autorisation de la reproduire.

Photos collection Jacques Monnoyer
Nous possédons quelques détails sur l’un d’eux qui figure peut être sur la photo ci-dessus.
Fils de Richard et de Grace Hawke, John Robertson Hawke est né le 17 mai 1890 à Burnbank en Ecosse. Sa famille émigre en Australie en 1908 et s’installe à Balmain, près de Sidney où John devient gardien d’immeuble avant de s’enrôler le 21 juin 1915. Il est affecté au 1er bataillon d’infanterie qui embarque le 8 octobre 1915 sur le transporteur de troupes « Warilda » pour l’Egypte. On le retrouve ensuite en Angleterre, en France, à Ypres en octobre 1917 et … à Gougnies en décembre 1918.
Hawkes avait, on peut le comprendre, le mal du pays et écrivait beaucoup. Pas moins de 200 de ses lettres sont aujourd’hui conservées et inventoriées dans les archives de l’université de Wollongong (Nouvelles Galles du Sud, Australie) et c’est ainsi que nous savons qu’il écrivit de Gougnies 5 lettres , chacune de 3 à 6 feuillets. La dernière est datée du 8 janvier 1919.
Quelques mois plus tard, il regagnait son pays où il est mort en 1965.

Abattu la veille de l’armistice!
Le cimetière de Gougnies abrite la tombe d’un aviateur britannique. James Hamilton Smith, second lieutenant, était le fils de Thomas et Mary Ann Smith de Fettes Cottage à Bathgate, dans le West Lothian, une région d’Ecosse proche d’Edimbourg. Il faisait partie du 24e escadron de la Royal Air Force et a été abattu en opération le 10 novembre 1918 : la veille de l’armistice ! Il était âgé de 19 ans.

La tombe du second lieutenant Smith. A droite: le drapeau des Anciens combattants, section de Gougnies.

Photos Ben
Grâce à Mme Lauren Woodard, Assistant Curator au Royal Air Force Museum et à M. Roy Hemington , Archive Supervisor de la Commonwealth War Graves Commission, nous avons recueilli des informations supplémentaires sur les circonstances de la mort du lieutenant Smith.
James Hamilton Reid Smith, était second lieutenant à la 211e escadrille du RAF.
Le 10 novembre 1918, il était embarqué à bord d’un DH 9 pour une mission de reconnaissance photographique dans les lignes ennemies. L’appareil, piloté par le second lieutenant C.H. Thomas a été abattu par la défense aérienne allemande et s’est écrasé près de Gougnies. Le lieutenant Smith a succombé à ses blessures et a été inhumé par les allemands dans le cimetière communal, tandis que son compagnon était fait prisonnier.

Par ailleurs il semble que la tombe ait temporairement abrité une partie de la dépouille d’un pilote américain abattu entre Gougnies et Biesme en 1944. Le corps déchiqueté avait été emporté par les Allemands, mais le baron Pirmez aurait trouvé encore quelques restes du cadavre qu’il aurait fait inhumer discrètement dans la tombe de Smith. Les Américains les auraient récupérés après la guerre.

La fiche concernant le 2d lieutenant Smith, conservée au musée de la RAF

Le De Havilland 9 (DH9), sur lequel était embarqué le lieutenant Smith en tant qu’observateur, était un bi-place bombardier, utilisé également pour les missions de reconnaissance (Photo Musée de la RAF)

MM. Marcel Hoyoux et Philippe De Ridder qui ont eu la gentillesse de faire profiter gougnies.be du résultat de leurs recherches viennent de publier un ouvrage dont le titre est éloquent.

 

Contacts:
marcel.houyoux(a)yahoo.fr
philippederidder(a)msn.com
musee.cerfontaine(a)skynet.be

Voyez aussi:

« Heures de guerre (2) »

« Heures de guerre (3) »

« Heures de guerre (4) »

« Heures de guerre (5) »

« Les tribulations d’une cloche »

« Emile Matteï: poilu de Gougnies »

14-18: la vie à Gougnies

Recherches: Benoit Gaspar et Willy Moreau