Heures de guerre (2)

Huit mai 1945. Au moment où nous mettons cet article en ligne, il y a 62 ans que l’Allemagne capitulait et que les camps étaient libérés.

C’est cette date que Gougnies.be a choisie pour vous proposer un nouveau volet à notre dossier « Heures de guerre ». Après vous avoir relaté l’irruption des troupes allemandes en 1914 dans le village, nous évoquons maintenant les prisonniers de guerre et les déportés, pour le travail obligatoire, de Gougnies en 40/45.
Ils sont rentrés à Gougnies dans le courant de l’été et une fête à propos de laquelle nous vous avons déjà présenté des documents a été organisée pour eux.

Une fois de plus, une remarque liminaire s’impose : nous ne sommes pas des historiens. Nous ne prétendons donc pas à la rigueur scientifique et, surtout, ce dossier n’est pas exhaustif. Nous nous sommes limités à quelques cas : ceux de personnes dont les proches ont bien voulu nous confier quelques documents ou souvenirs. Et nous espérons qu’à la lecture de ces lignes d’autres informations et documents nous parviendront.
La première constatation qui s’impose à la lecture de ces renseignements c’est que le sort des uns et des autres fut bien différent : quelle marge en effet entre le lot d’un Camille Defresne qui fut détenu dans des stalags de mai 1940 à mai 1945 et d’Albert Grégoire qui, après quelques semaines, oublié sur un quai de gare, a pu regagner Gougnies…

Commençons par celui-ci.

Albert Grégoire

Photo collection Freddy Grégoire

Frère de Freddy, il avait été mobilisé et il est fait prisonnier lors des combats sur le canal Albert aux premiers jours de l’offensive allemande. Il est emmené dans un camp en Allemagne, non loin de la frontière belge. Mais voici qu’après quelques semaines, on décide de les changer de lieu de détention et de les envoyer dans un stalag plus loin dans le Reich. On les parque sur le quai de la gare locale, le train arrive et la « belle » organisation teutonne est prise en défaut : par manque de place dans le convoi, une trentaine de prisonniers restent à quai. Le train s’en va et personne ne s’occupe d’eux. On peut imaginer leur stupéfaction… ils sont rentrés comme ils ont pu en Belgique. Albert était de ceux-là. Arrivé à Gougnies, il n’eut pas le sentiment de devoir se cacher puisqu’il est retourné travailler à Moncheret comme avant la guerre…

Camille Defresne

Photo collection Marie-Thérèse Defresne

Bien différente est la saga du caporal Camille Defresne du 8e Régiment de Chasseurs à pied. Incorporé le 10 mai 40, il fut fait prisonnier le 28 mai. Il resta détenu jusqu’au 8 mai 1945 : 5 ans dans divers stalags ! Il fut mis au travail dans des fermes et, comme il était tourneur de cylindres, il fut également affecté au travail dans des usines. Où était-il détenu ? Les quelque 200 lettres qu’il envoya à son épouse Georgine Soumillon ne le précisent pas (censure militaire oblige) mais sa fille Marie – Thérèse qui les conserve précieusement sait qu’il était détenu en Autriche.

Les lettres dont l’envoi aux familles était permis aux prisonniers étaient d’un modèle bien particulier. Il s’agissait d’une feuille séparable en deux parties. Sur l’une, le prisonnier pouvait donner de ses nouvelles à ses proches et ceux-ci étaient obligés de répondre sur l’autre volet du document. On était prié d’écrire lisiblement et « sur les lignes » pour faciliter le contrôle de la censure. Pas étonnant donc qu’en 5 ans et 200 lettres, le prisonnier 6579 du camp B 441 GW F ne donne que peu de détails sur sa vie. Le 24 avril 1941 il rassure : « je n’ai pas faim » mais il précise qu’il travaille dans les champs et les bois et qu’il craint d’oublier son métier de tourneur.
Plus tard, il écrit d’une usine : il s’inquiète, comme dans la plupart de ses missives, de la santé des siens et de leur ravitaillement et les gourmande : « vous m’envoyez trop de colis ; ne vous mettez pas dans l’embarras ». En février 44 il écrit à sa fille : « tu me dis que le Père Noël vous a apporté cougnous et bonbons (…) je sais qu’il est très pauvre pour le moment, mais espérons que si je suis parmi vous l’an prochain, il sera un peu plus riche. Ton écriture est belle et sans fautes, mais il manque des virgules et des points» (là, c’est le papa, avec sa précision d’ajusteur, qui parle…)

Camille et ses co-détenus avaient monté une troupe de théâtre. On constatera qu’ils ne manquaient ni d’imagination ni de ressources pour les décors. Un seul problème: pas de femme! Qu’à celà ne tienne: on reconnaitra Camille en parfaite ménagère, à droite sur les deux premières photos. La 3e nous montre un orchestre qu’ils avaient pareillement créé. Camille est assis à gauche, jouant de la mandoline, instrument qu’il ramena en Belgique et dont nous parlons dans le dossier sur le Fantômas Orchestre Photos coll. M-Th. Defresne, restaurées par Arnaud Tombelle.

A gauche, deux modèles de lettres que les prisonniers étaient autorisés à écrire, un lexique français-allemand et une boite métallique pour papier à cigarettes que Camille façonna et grava pendant sa détention. Elle porte ses initiales et la mention « Souvenir d’Autriche » et, enfin, la boite dans laquelle sa correspondance est précieusement conservée.

Différentes documents militaires et une carte qui était vendue par le cercle » Pour eux » au profit des prisonniers de Gougnies. Elle comporte une chanson et un poème.
Photos et documents collection Marie-Thérèse Defresne

Jules Burton

Photo collection famille Nastavniy

Quant à Jules Burton qui, à son retour de captivité allait devenir bourgmestre de Gougnies, il tint un journal sommaire dans un petit agenda cartonné de l’année 1940 portant la publicité de « La Minerve de Belgique ». Jules Burton appartenait au 19e régiment de ligne et resta prisonnier jusqu’en mai 44 en Allemagne. Dans le civil, il était comptable : on ne s’étonnera donc pas de la précision de ses notes.

A la date du mercredi 29 mai 1940 (il est sans doute prisonnier depuis la veille) il y inscrit « départ de Bruges à 8h30 arrivée à Gand à 21h30 ». Jours suivants, « Lokeren, Anvers, Braschaat. Dimanche 2 juin : Braschaat-Calmthout. Départ de Calmthout à 20h30 (train). Lundi 3 arrivée à Dortmund 17h30. Vendredi 14 départ de Dortmund à 15h30. Samedi 15 : arrivée à Nürn 16h31. Lundi 24 départ du camp de Nürn pour Jechnitz. Mardi 25 arrivée à 3h30 du matin à Jechnitz.
On reçoit une portion de pain et du saucisson. Nous logeons dans une vieille ferme abandonnée. Jeudi 27 travail au bois. »
Tout au long des mois de juillet et août, il mentionne qu’il travaille au bois et qu’ il pleut beaucoup. Il fait froid.
Il portait le matricule : Pris. Belge N° 44246. Stalag XIIIB Weiden.

Quelques document relatifs à la captivité de Jules Burton. On remarquera particulièrement (1ere photo) son journal après deux mois de captivité et (5e photo) les restrictions draconiennes mise à sa circulation.
Photos collection famille Nastavniy

Franz Tamine

Franz Tamine a été prisonnier de guerre. Il s’est peu confié, même à ses proches.
Il semble que, prisonnier en Allemagne, il se soit évadé. Il a regagné Gougnies clandestinement, aurait rejoint un réseau de résistance avec lequel il aurait fait sauter le pont de chemin de fer à la sortie du village. La ligne était statégique pour les allemands puisque, via Mettet, elle desservait l’aérodrome de Florennes.

Un temps, il s’est caché dans le Warchibô. À droite sur la route de Gougnies à Villers. Freddy Grégoire, qui était gamin, se souvient que sa mère, Betty, l’envoyait à Gerpinnes porter du lait à sa sœur. Il avait comme instruction de passer le long du bois et de jeter un colis dans un taillis qu’on lui avait désigné. Il ne savait pas ce qu’il faisait. Après la guerre Franz Tamine lui a dit : « tu sais que tu m’as nourri ? »

Sur la première photo Franz Tamine est le 2e à gauche (à genoux) Sur la seconde il est le premier à gauche. La 3e a été prise à la Libération. Dans ses bras: sa fille Nadine qui avait un an.
Photos coll. famille Van Malcot.

Gabriel Van Bellinghen

Au verso de cette photo qui date de mars 1943, Gabriel Van Bellinghen a écrit « Souvenir de Regensburg ».
Photo coll. Annie Van Bellinghen.

Il y eut aussi ceux qui furent déportés et astreints au travail en Allemagne. Leur sort n’était guère plus enviable que celui des prisonniers de guerre. A 16 ans en 1940, trop jeune pour être mobilisé, Gabriel Van Bellinghen échappa donc au sort des prisonniers de guerre. Cependant, celle-ci devait le rattraper et il n’avait que 18 ans quand, le 23 novembre 1942, il fut déporté pour le travail obligatoire et embauché, si l’on peut dire…, dans une usine de Regensburg en Bavière où l’on fabriquait les fameux Messerschmitt 109 (photo ci-dessous)

Le 17 août 1943 (logiquement, pourrait-on dire) l’usine fut bombardée par l’aviation américaine. Il y eut 265 tués, tant belges qu’allemands. Nous ignorons si Gabriel était dans les locaux au moment du raid . Quoi qu’il en soit, il en est sorti vivant puisque peu de temps après il était transféré à Neustadt dans une autre usine de montage d’avions. On y travaillait en deux poses de 12 heures… Gabriel est rentré en Belgique le 25 mai 1945…

Voyez aussi:


« Heures de guerre (1) »

« Heures de guerre (3) »

« Heures de guerre (4) »

« Heures de guerre (5) »

« Les tribulations d’une cloche »

« Emile Matteï: poilu de Gougnies »

14-18: la vie à Gougnies

Dossier réalisé par Benoît Gaspar