Heures de guerre (3)

Pour la mémoire familiale, mais aussi pour les visiteurs du site Gougnies.be, Rita Beaurain a rassemblé documents et informations sur les heures de guerre de son papa Ernest et de ses oncles Augustin et Robert. Elle nous présente, ci-dessous, dans un dossier par ailleurs très didactique, le résultat de son travail.

Trois frères dans la tourmente

Ernest Beaurain

Il est né le 26 septembre 1916 à Acoz

En 1936, comme d’autres conscrits de la région, il se présente à la caserne Trésignies de Charleroi.
Il fera son service militaire au 2 ème Chasseurs à Cheval à la caserne Léopold de Namur.
A la fin de son service, en 1938, il signe un engagement comme volontaire de carrière.
Le 2ème Chasseurs à Cheval devient motorisé.

25 août 1939, jour de la mobilisation générale de l’Armée belge.
La mobilisation se mettra en place pendant l’hiver 39-40
Le 2ème Chasseur à Cheval sera d’abord envoyé à Villers-sur-Semois ensuite sur l’Ourthe et cantonné près de Verlaine à Sy-sur-Ourthe.
Le 10 mai 1940 à 6 heures du matin l’Allemagne envahit la Belgique.

L’aviation allemande bombarde, sans déclaration de guerre, les aérodromes et les noeuds de communication. Par ce coup traître, l’armée perdait au sol cinquante-six appareils sur cent quatre-vingts.
Les troupes belges vont résister, mais l’avancée des allemands les fait reculer progressivement vers le nord du pays.

Ernest était estafette et avait pour mission avec sa moto d’aller observer les déplacements des troupes allemandes et de rapporter les informations.

Une anecdote: Ernest qui était caché derrière de hautes haies d’aubépines pour observer les mouvements d’une colonne allemande tente de démarrer sa moto qui ne veut rien entendre. Le temps presse, la moto résiste, de coup de kick en coup de kick et implorant sa maman de faire démarrer cette têtue il parvient quand même à s’échapper à travers bois et rejoindre le régiment.

Ainsi commence la campagne des 18 jours 18 jours pour cinq ans de captivité et d’occupation.

Notre artillerie, nos chasseurs ardennais et de nombreuses unités d’élite combattirent vaillamment sur la Dendre, l’Escaut, la Lys, et infligèrent aux Allemands des pertes supérieures à toutes celles qu’ils avaient subies jusqu’à ce jour. Le 27 mai, la capitulation était néanmoins devenue inévitable. Les Allemands exigèrent qu’elle fût inconditionnelle (Bedingungslose Uebergabe). Elle eut lieu le 28 mai.
28 Mai 1940 – La capitulation belge

– à 9h 35 les plénipotentiaires belges arrivent au château d’Anvaing.
– à 9h 40 le général Derousseaux , le commandant Liagre et le Général-Major Paulus sont reçus par le général von Reichenau entouré d’officiers supérieurs allemands.
– La conférence a lieu dans la bibliothèque du château.
– à 10h 00 capitulation de l’armée belge. Vingt minutes à peine ont suffi à la lecture du protocole. Les signatures sont échangées. Le général von Reichenau informe le Führer. Grande victoire ! La grande Allemagne a battu la petite Belgique.
Le régiment d’Ernest fut stoppé à Menin sur la Lys dans la région de Ypres.
Ils rendirent leurs armes aux allemands et furent parqués sur les trottoirs de la ville en attendant de rejoindre les convois qui les dirigeraient vers l’Allemagne.

Autre anecdote: une habitante de Menin compatissante distribuait des œufs durs et du pain aux troupes belges assises sur les trottoirs.
C’est là que René Lurkin de Devant-les-Bois – compagnon d’infortune d’Ernest (devenu son beau-frère après la guerre) écrit son nom et son adresse sur un bout de papier et le donne à cette dame en lui demandant de le faire parvenir à sa famille pour dire qu’il est vivant.
A la lecture du papier la dame s’exclame : « Je suis originaire de Florennes , et mon frère est le boucher Denil de Mettet. » Le courrier fut bien transmis.

Voyage forcé
Nouveau statut: Prisonnier de guerre/Kriegsgefangenen – Matricule 21171 – Stalag IV A

Commence alors le voyage de 900 km vers une destination inconnue dans l’inconfort et la promiscuité des trains de marchandises.
Un aller – retour qui allait prendre cinq ans.
Un aller simple pour beaucoup d’autres.
Point d’arrêt, la Saxe – LÖBAU-OSTRITZ près de ZITTAU .
Présentée aujourd’hui comme la perle du Haut-Lausitz (les temps ont bien changé), Zittau est située à l’extrémité sud-est de la Saxe, là où l’Allemagne, la Pologne et la République tchèque convergent.

Comme beaucoup de prisonniers, Ernest et ses compagnons sont envoyés dans des fermes pour travailler. D’autres iront dans des industries ou des centrales électriques.
La Kommandantur faisait son enquête en Belgique pour voir le niveau de formation des prisonniers et les utilisait dans ce sens.

Le logement se faisait dans une ancienne salle de fêtes sous la surveillance de sentinelles allemandes. La vie s’organisait et il arrivait même que tous ces compagnons mettent en scène des spectacles comiques pour se divertir.

Au premier rang (assis) les deux derniers à droite sont Ernest Beaurain et René Lurkin.

Le matin, ils étaient transférés jusqu’à la ferme sur un chariot tiré par un tracteur.
La région constituée de grands espaces de cultures, la distance d’une ferme à l’autre pouvait être de 20 km.
Ernest travaillait dans la ferme de Paul Kretschman à Ostritz.

Quelques années de captivité, la gale et un plan alimentaire inexistant laissent apparaître une maigreur certaine.
La nourriture n’était jamais de premier choix, il n’était pas rare de trouver au menu des pommes de terres cuites non épluchées écrasées avec de la farine et les vers de cette même farine en cadeau.

Toutefois, c’est grâce aux bons soins d’une sentinelle allemande qu’Ernest fut guéri d’une double pleurésie.

8 Mai 1945 – Capitulation de l’Allemagne et libération des camps

Mai 1945, Ernest et ses compagnons de captivité sont libérés par les soviétiques.Le retour se fera en 20 jours, mais les libérateurs n’étant pas tous des saints, il valait mieux se cacher le jour dans les fossés et bouger la nuit si on ne voulait pas se faire occire et être dépouillé du peu qu’on avait sur soi.
Jusqu’au jour où le groupe entendit parler anglais et se manifesta.

Regroupés par les américains, les anciens prisonniers furent transportés dans des camions vers le service de la Croix Rouge qui se chargea de les rapatrier vers la Belgique.
Ernest arrive au centre d’accueil de la Gare de Charleroi et reçoit son « papier de démobilisation » le 28 mai 1945, soit exactement cinq ans après son départ en Allemagne.
C’est Jules Henseval boucher à Gougnies qui va rechercher Ernest à Charleroi.
Les amis et voisins attendent son retour à l’entrée du village et lui font un accueil chaleureux.

A gauche, la maman, Denise Hébrant. A droite, Alexandre Beaurain, le papa. Derrière Ernest, son frère Robert. Le jeune homme à droite est Michel Caramin.

Werbestelle – Bureau de recrutement et Travail Obligatoire

Les Allemands, dont le problème majeur était de renforcer leur potentiel de guerre, devaient, de leur côté, organiser leurs ordonnances de recrutement pour le travail obligatoire, de manière à ce que tout ne leur échappât pas. En Mars 1942, ils prirent une ordonnance en vue de réquisitionner des ouvriers pour travailler sur le territoire du Reich.

Ils décidèrent de limiter l’obligation de travail aux jeunes Belges nés entre 1920 et 1921.
Un certain nombre d’exemptions furent prévues pour les ecclésiastiques, les mineurs, les gendarmes, les policiers et les étudiants. Par la suite, les jeunes nés en 1922, 1923 et 1924 furent appelés à la Werbestelle, ou bureau de recrutement, qui leur délivrait un certificat d’exemption ou les envoyait au travail.
Pour le seul dernier trimestre de 1942, cinquante mille Belges furent recrutés pour travailler au bénéfice du Reich. Leur nombre ne cessa de croître en 1943. Refuser de partir, c’était s’exposer à des représailles et la répression mise en place par les Allemands devint de plus en plus sévère. Les membres de la famille du réfractaire pouvaient être mis au travail en ses lieu et place. Etaient également poursuivis, ceux qui apportaient leur aide aux réfractaires et il fut conseillé à la Werbestelle de porter l’affaire devant les conseils de guerre, afin d’intimider la population.

Printemps 1942: Augustin Beaurain, Fernande et Robert. A ce moment, les deux frères ne savent pas encore qu’ils vont être convoqués pour le travail obligatoire.

Augustin Beaurain

Il est né le 28 juin 1922

En 1942, Augustin travaillait aux Ateliers Marcelle.
Monsieur Marcelle était attentif, lorsqu’il y avait des risques de rafles de la part des allemands pour le travail obligatoire il envoyait Augustin à la ferme des Longs Bonniers jusqu’au moment où l’alerte était passée.Finalement, Augustin fut convoqué à la Werbestelle. Il avait 20 ans.
Comme beaucoup, il se rendit à la gare de Charleroi pour embarquer dans les trains à destination de l’Allemagne.

Un réseau de résistance avait fait savoir qu’il prendrait en charge ceux qui voulaient les rejoindre.
Augustin est monté dans un wagon pour en descendre de l’autre côté et s’échapper par une sortie arrière de la gare du coté des ACEC. Là, les résistants attendaient.
C’est ainsi qu’il rejoint l’Armée blanche et fait partie du groupe des réfractaires jusqu’à la fin de la guerre.Augustin était resté discret quant aux activités qu’il avait eues pendant cette période.
Ce qu’on sait, c’est qu’il venait à pied par les bois de Gougnies à Devant-les-Bois pour se cacher une partie de la nuit à la ferme Lurkin. Tôt le matin, avant le chant du coq, il repartait afin de ne pas être vu.
Les sabotages des lignes de chemin de fer, des ponts, des compteurs électriques ou des locomotives des régions de Charleroi, Tamines, Aiseau et Marcinelle n’étaient pas le fait du Saint-Esprit mais bien de tous ces hommes qui travaillaient dans l’ombre pour mieux freiner la machine de guerre allemande.

Robert Beaurain

Il est né le 3 février 1924

C’est dans un climat tendu que Robert reçu la convocation de la Werbestelle le 2 décembre 1942.
Il se rend au bureau de recrutement le 7 décembre à Charleroi rue Puissant et présente un document attestant que son frère Ernest était prisonnier en Allemagne, mais rien n’y fit, il fut arrêté et « engagé » comme Travailleur Obligatoire. Il avait 18 ans.
Il devait partir sinon sa famille subirait des représailles.Dirigé à la gare de Charleroi, il rejoint les autres jeunes recrutés et n’a pas d’autre choix que de monter dans ce convoi qui l’emmènera jusqu’à Saarbrücken importante cité industrielle allemande.
Il arrive à destination le 14 décembre.

Il travaillera dans cette usine sidérurgique jusqu’à la libération en 1945.

La convocation à la Werbestelle et laisser-passer, certainement très restrictif, délivré à Robert à sa sortie du camp disciplinaire dont il est questions ci-après.

Un épisode de cette période est relaté dans un courrier de Paul Siraut compagnon de travail et de captivité de Robert.

« … pendant la période du 31/12/1944 au 08/02/1945 lui-même ainsi que d’autres déportés, nous avons été mis dans un camp disciplinaire pour avoir essayé de nous évader. Ce camp se trouvait à Dannstadt où nous avons été maltraités par la SA.
Un de nous nommé François Lambion est d’ailleurs décédé des suites des coups reçus. »
Après cette « parenthèse » Robert retournera à Saarbrücken.

C’est là qu’il avait rencontré Louba qui deviendra son épouse. Voici son histoire.
La saga de Louba et Robert

Louba est née le 1er mai 1924 à Zaporojié en Ukraine

Elle se souvient…
Les allemands organisaient des rafles dans les villages et c’est ainsi qu’elle fut emmenée alors qu’elle était au bord du chemin avec d’autres jeunes filles.
Pas de possibilité de prévenir les parents.

Les jeunes originaires de Russie et de Pologne avaient été rassemblés et ensuite dirigés vers une gare où un long convoi de wagons de transport de marchandises attendait.
Le triste voyage en direction de Saarbrücken commençait.
Parfois le train s’arrêtait en rase campagne, pour permettre aux occupants du train « d’aller à la toilette » sous la vigilance des sentinelles armées. Pas d’intimité bien entendu.
Arrivés à destination, les travailleurs étaient parqués dans des hangars.
Un camp pouvant recevoir 5000 personnes fut construit. Un camp fermé, une prison.
L’usine était proche, et le matin les travailleurs groupés 5 par 5 étaient accompagnés par la police pour se rendre au travail. Quand ils rentraient au camp, on leur distribuait des tickets de nourriture, pas de viande, mais du rutabaga ou deux pommes de terre cuites. Un pain pour 30 personnes à garder si on voulait manger le lendemain matin. Bien souvent, ils avaient tellement faim, que le pain était avalé le soir et qu’ils partaient le ventre creux à l’usine le jour suivant.

Louba est la première à gauche

Louba avait été sollicitée pour travailler quelques heures par jour chez une dame qui était enceinte et dont le mari était soldat en Russie. C’est ainsi qu’après six mois de captivité elle put faire parvenir à sa famille, par l’intermédiaire de ce soldat, une lettre leur expliquant sa situation.

En 1945, les américains bombardaient les aciéries allemandes et les travailleurs obligatoires devaient se cacher et se mettre à l’abri comme les civils.
Un jour, les soldats allemands regroupèrent les prisonniers et mirent en place l’évacuation de ceux-ci. Les américains arrivaient.
Au fur et à mesure que la colonne avançait, il y avait de moins en moins de sentinelles. Jusqu’au moment où il n’y en eut plus du tout. A ce moment, les gens se dispersèrent, certains restèrent groupés. Tous prenaient un chemin au petit bonheur la chance.

Louba et Robert accompagnés d’autres compagnons devenus des amis (Omer et Lena) entreprirent le chemin de retour.
L’entreprise n’était pas sans fatigues, aussi prenaient-ils le temps de se reposer en se cachant dans les bois.
Des bombardements avaient encore lieu. Et Louba guidée par un pressentiment pousse ses compagnons à changer d’endroit et les entraîne plus loin.
Plus tard, en repassant par là, ils eurent la surprise de voir un énorme trou à la place de l’arbre sur lequel ils étaient assis un quart d’heure plus tôt. Ils avaient une bonne étoile avec eux.
Par sécurité, le jour ils se cachaient et sortaient la nuit.
C’est ainsi qu’ils s’arrêtèrent quelques temps dans un village abandonné.
Cachés le jour dans un grenier, un membre du groupe sortait la nuit pour prendre de l’eau et de quoi manger.
Un matin, très tôt, Omer Vandevyver descend chercher de l’eau et tombe nez à nez avec les américains. Premier moment de surprise passé, Omer crie à ses amis que les américains sont là et qu’ils peuvent descendre.
A ce moment, d’autres personnes sortaient d’un peu partout. Alors qu’ils pensaient être seuls, ils découvrent que beaucoup avaient fait la même route. Sans se voir.
Les américains les prennent en charge et les dirigent vers Strasbourg.

C’est là que sera célébré le mariage de Robert et de Louba. Condition indispensable pour que Louba suive l’homme de son cœur, sinon elle devra repartir en Ukraine.
Un mariage sera aussi célébré en Belgique le 23 juin 1945.

Gougnies, le 23 juin 1945

Voyez aussi:

« Heures de guerre (1) »

« Heures de guerre (2) »

« Heures de guerre (4) »

« Heures de guerre (5) »

« Les tribulations d’une cloche »

« Emile Matteï: poilu de Gougnies »

14-18: la vie à Gougnies

Dossier réalisé par Rita Beaurain. Photos et documents: famille Beaurain